Cette pi�ce a �t� �crite en 1667, �
l’�poque classique, par Racine, po�te dramatique rival de
Corneille. Andromaque, trag�die racinienne, se d�roule �
la fin de la guerre de Troie. Pyrrhus, roi grec, est amoureux de sa prisonni�re
troyenne, Andromaque, et il a d�cid� de rompre ses fian�ailles
avec Hermione, princesse grecque. Dans cette tirade, Hermione lui en fait
le reproche de fa�on violente.
Acte IV, scène 5
HERMIONE.
Je ne t'ai point aimé, cruel ? Qu'ai-je donc fait ?
J'ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes,
Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces ;
J'y suis encor, malgré tes infidélités,
Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.
Je leur ai commandé de cacher mon injure ;
J'attendais en secret le retour d'un parjure ;
J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,
Tu me rapporterais un cœur qui m'était dû.
Je t'aimais inconstant ; qu'aurais-je fait fidèle ?
Et même en ce moment où ta bouche cruelle
Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.
Mais, Seigneur, s'il le faut, si le Ciel en colère
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j'y consens. Mais du moins
Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.
Pour la dernière fois je vous parle peut-être :
Différez-le d'un jour ; demain vous serez maître.
Vous ne répondez point ? Perfide, je le vois,
Tu comptes les moments que tu perds avec moi !
Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,
Ne souffre qu'à regret qu'un autre t'entretienne.
Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux :
Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée,
Va profaner des Dieux la majesté sacrée.
Ces Dieux, ces justes Dieux n'auront pas oublié
Que les mêmes serments avec moi t'ont lié.
Porte aux pieds des autels ce cœur qui m'abandonne ;
Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione.
II - ETUDE :
- La d�signation de Pyrrhus par Hermione : Hermione passe du
tutoiement au vouvoiement et revient en fin de tirade au tutoiement
: les reproches, la soumission, la col�re et la menace se succ�dent
dans cette d�signation. En effet, Pyrrhus est d’abord "
cruel " (1) car il joue avec les sentiments amoureux, puis accus�
de " parjure " (7) car il a promis de l’�pouser. Mais
Hermione l’aime et ne re�oit rien en retour : " ingrat "
(13), il ne voit pas toutes les humiliations qu’elle a subies pour lui.
Dans cette premi�re partie, elle utilise le tutoiement.
- Ensuite, elle demande une faveur : son ton humble " Seigneur
(14) et " Ma�tre " sert alors � tenter de le
fl�chir. De plus, par respect, elle le vouvoie. Dans l’attitude
distante de celui-ci, le m�pris semble �vident. Alors
Hermione �clate. Elle revient brusquement au tutoiement : "
Vous ne r�pondez point ? / Perfide [...] tu comptes les moments
que tu perds avec moi ! "(21). Cet �pith�te ("
perfide ") marque la col�re d’Hermione constern�e
du double jeu de celui qu’elle aime. Prise d’une fureur froide, elle
finit par menacer celui qu’elle appelait " Ma�tre "
quelques instants avant. Cette fois, elle parle d’elle � la troisi�me
personne, devenant une menace pour lui (" crains encor d’y trouver
Hermione " au vers 31)
- La violence de la passion : La passion, d’abord, s’exprime dans une
d�claration d’amour tr�s claire, voire impudique (vers
1, 10 ou 13). Hermione s’abaisse et se pr�sente comme capable
de tout accepter de la part de celui qu’elle aime, m�me son infid�lit�.
Elle a honte (v.5) de son comportement qui manque de noblesse, mais
elle n’y peut rien . Vers 13 :" Je doute encor si je ne t’aime
pas "Tout ce qu’elle a subi et accept� se trouve r�uni
dans les treize premiers vers " aim� ", " d�daign�
", " mes bont�s ", " mon injure ", "
j’attendais ", " j’ai cru ", " je t’aimais inconstant
", " m�me en ce moment ".
- La ponctuation (exclamative et interrogative) exprime cette violence,
marqu�e aussi par les anaphores (" Va ") et les verbes
� l’imp�ratif. Les questions rh�toriques (v.1 et
10), la col�re (v. 10 ou 21), nous montrent bien une femme jalouse
et hors d’elle.
- La menace, enfin, vient achever cette tirade ou l’exasp�ration
d’Hermione culmine, face � la froideur de celui qui la repousse
avec d�dain. Les Dieux seront ses alli�s (v.28 : "
Ces Dieux, ces justes Dieux n’auront pas oubli� & ")
car elle est dans son bon droit (v.29 : " Que les m�mes serments
avec moi t’ont li� ") Ils n’accepteront pas ce parjure "
au pied des autels " (v.30). Le dernier vers exprime bien le risque
que prend alors Pyrrhus : Qu’y aura-t-il au pied de ces autels ? Hermione
morte (elle menace peut-�tre de se suicider au vers 18) ou un
assassin envoy� par elle (ce qu’elle fera) ?
- La tonalit� du passage :
- Lyrique, cette tirade d�crit les sentiments d’Hermione
pr�te � tout par amour. Le champ lexical de la passion
s’y m�le � la synecdoque du coeur qui s’exprime ou
qui s’absente vers l’�tre aim�. C’est une v�ritable
d�claration d’amour.
- �l�giaque, elle pr�sente une Hermione abattue,
pr�te � accepter sa d�faite et � mourir,
soumise, r�sign�e (v.16 : " achevez votre hymen,
j’y consens ") et triste. Cet �tat d’esprit ne durera
pas longtemps !
- Le texte s’ach�ve sur le ton �pique : la suite d’imp�ratifs,
les anaphores violentes poussent Pyrrhus � pr�cipiter
son crime (son mariage sacril�ge) et sa propre mort. Les termes
employ�s expriment la grandeur : v.26," la foi ", 27,
" majest� sacr�e " des " Dieux ",
v.29, " serments ". La gradation finale rappelle l’appel aux
armes de Don Di�gue � Rodrigue (" Va, cours, vole
et nous venge ! ") dans le Cid de Corneille. Ce rappel ironique
montre bien l’attitude combative d’Hermione : inutile de tra�ner,
s’il doit l’abandonner de toutes fa�ons ! Elle ne laissera pas
celui qu’elle aime � quelqu’un d’autre et elle saura s’en d�barrasser...
III - Conclusion :
La catharsis dans le th��tre classique.
La catharsis est la " purgation des passions " par le spectacle
de celles-ci et celui des cons�quences que cette passion peut entra�ner.
La trag�die doit inspirer la terreur et la piti� du spectateur
.Ce principe d’Aristote m�ne toutes la trag�die racinienne
En voyant sur sc�ne ces personnages livr�s aux tourments de
leur amour impossible ou fou, le spectateur sera purifi� de ses propres
passions, comme un sacrifice animal prendrait sur lui les p�ch�s
humains. Ici, le spectacle d’Hermione qui se rabaisse par amour toute princesse
qu’elle est, et qui perd toute dignit� face � celui qui la
m�prise, celui de Pyrrhus pr�t � oublier son devoir
et � risquer la mort ou la destitution par amour pour une esclave,
la jalousie exacerb�e d’Hermione, qui lui fera commanditer un crime,
sont bien des exemples que l’on n’a gu�re envie d’imiter. Tout ici
manque de grandeur d’�me, de noblesse.