Commentaire de "Promenade sentimentale", Verlaine


Thème : la poèsie

Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars, entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi, j'errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l'étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j'errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l'épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ces ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.

Paul Verlaine (1844-1896) Poèmes saturniens, "Paysages tristes", 1866.

I. Vocabulaire
Darder : frapper avec un dard.
Saulaie : plantation de saules.
Sarcelle : oiseau de la famille des canards.
Linceul : pièce de toile dans laquelle on ensevelit un mort.

II. Questions d'observation

1. Oberservez la répartition des indices de première personne : en quoi cela vous aide-t-il à dégager la composition du poème ? (2 pts)
2. Quels sont les temps verbaux employés ? (3 pts)
3. Relevez et commentez le lexique de la lumière. (3 pts)


1. Dans ce poème, il y a plusieurs indices de première personne :
Pronom personnel : "moi" vers 5
Pronom personnel sujet : "j'errais" vers 5 et 11
Pronom possessif : "ma" vers 5 et 11

Cette répartition permet de dégager trois parties : le poème s'ouvre sur une description du décor puis le poète apparaît, ensuite on a une nouvelle description du décor et présence du poète dans la répetition "j'errais tout seul promenant ma plaie".
On a l'impression que le poète se fond au décor pendant sa promenade.


2. Les temps employés par Verlaine sont ceux du passé : imparfait dans "dardait", "berçait", "luisaient", "errais","évoquait", "se rappelaient" et passé simple à la fin du poème dans "vint". L'imparfait évoque le souvenir, le retour sur le passé qui intervient au moment où le soleil se couche. Il a une valeur de durée et de répétition. Le poète ressasse ses souvenirs, avec l'emploi du verbe "errer" on a l'impression qu'il se perd dans ses pensées. Le passé simple indique un évènement décisif, qui surgit brusquement dans le passé. Au vers 13 les ténèbres surgissent pour mettre fin à la lumière du soleil.


3. La lumière est présente dès le premier vers : "le couchant" désigne le soleil au moment du crépuscule. C'est une lumière déclinante. Le verbe "luisaient" au vers 4 suggère la faible luminosité qui règne sur le décor. La "brume" évoque une lumière diffuse de même que l'adjectif "laiteux". Plus on avance dans le poème plus la lumière diminue, au vers 1 l'emploi de "dardait" montre que la lumière est encore vive. Puis elle s'atténue ("brume", "laiteux") et disparaît à la fin pour laisser place aux "ténèbres". Le passage de la lumière à l'obscurité indique le passage de la vie à la mort. Les "ténèbres" sont souvent associés à la mort. Celle-ci est annoncée au vers 8 avec le mot "fantôme" et au vers 12 avec "linceul". Les adjectifs "blêmes" et "laiteux" accentuent cette idée.

III. Questions d'analyse, d'interprétation ou de comentaire

1. Dans un développement organisé, vous étudierez les éléments du cadre de la promenade. (5 pts)
2. Analysez les sentiments du poète. Comment se manifestent-ils ? Ordonnez votre réponse. (7 pts)

1. La promenade se déroule dans un décor où les éléments évoquent à la fois un monde réel et un monde imaginaire. Les éléments naturels sont décrits avec précision, dans un espace et un temps proches de la réalité. Mais rapidement on se retrouve projeté dans un monde imaginaire où le cadre de la promenade s'avère inquiétant.

Dès le début du poème nous découvrons le paysage de la promenade. La description est précise et se rapporte à plusieurs éléments du monde réel. Le soleil, le vent, la végétation, l'eau sont des éléments naturels qui sont décrits dans une phrase des vers 1 à 4. Nous découvrons l'heure (le crépuscule) et le lieu (au bord de l'eau) de la promenade. Puis il y a des indications supplémentaires : les mots "entre" et "sur" donnent des indications de lieu, et permet d'imaginer avec précision comment les éléments se placent dans l'ensemble du décor. La répétition de "nénuphars" au vers 3 avec l'adjectif qualificatif donne aussi plus de précision, on a vraiment une vision du réel. On comprend que les "calmes eaux" au vers 4 sont un" étang". L'atmosphère qui se dégage est paisible et favorise la promenade et la rêverie (emploi du verbe "évoquer" au vers 7). Mais des vers 7 à 9 le paysage s'anime et les éléments appartiennent alors à un monde imaginaire.

La "brume" : élément naturel réel est associée à un "fantôme". Avec l'emploi de "se désespérant" et "pleurant" elle est personnifiée. Les éléments du décor relèvent d'un monde imaginaire. Le paysage prend des allures inquiétantes : "fantômes", "épais linceul", "ondes blêmes", "ténèbres" désignent les éléments naturels de manière morbide. La promenade devient terrifiante. La mort semble au bout du chemin dans "vint noyer" au vers13. L'atmosphère devient alors horrible.

2. La promenade s'inscrit dans un décor ambivalent. Verlaine décrit avec réalisme un paysage calme et tranquille, puis les éléments deviennent inquiétants. Dans un tel décor la promenade devient angoissante. Dans "promenade sentimentale", Verlaine exprime à travers sa vision du paysage ses états d'âme. Il montre sa solitude et sa tristesse et révèle peu à peu son angoisse.

Le thème de la solitude intervient dans l'expression "tout seul", l'emploi de "tout" accentue cette idée. Le pronom personnel "moi" et le pronom sujet "j" expriment aussi la solitude du poète. La place de "moi" au début du cinquième vers évoque l'isolement. "Tristement", "désespérant", "pleurant" qui désignent la nature environnante sont l'expression de sa propre tristesse. Ce sentiment est présent dans sa vision du paysage. Le "soleil couchant", la "brume", sont des éléments qui favorisent la tristesse. Il y a aussi le thème de la souffrance : "promenant ma plaie" exprime cet état. Le mot plaie évoque la blessure, L'expression "promenant ma plaie" montre que Verlaine ne peut pas se séparer de cette souffrance. A travers la vision d'un paysage inquiétant, Verlaine révèle son malaise.

L'angoisse intervient avec l'apparition des mots "fantôme", "linceul", "ténèbres" qui appartiennent au champ lexical de la mort.
Le passage de la lumière à l'obscurité est un moment angoissant. Le jeu des répétitions qui intervient accentue aussi cette idée d'angoisse.
On retrouve à la fin du poème les expressions du début. L'enjambement au vers13 et l'inversion des mots provoquent l'angoisse. Inscrit dans le décor, le poète semble abandonné et précipité dans l'obscurité.

Le poème nous permet de voir comment Verlaine : poète maudit, exprime à travers sa vision d'un paysage crépusculaire ses sentiments d'isolement et d'angoisse face à la vie.