I . Biographie sommaire
- Sa mère est paysanne et son père militaire, qui les abandonnera.
- Il est remarqué à l'école, un de ses professeurs de quatrième
dire de lui : "Il finira mal. En tout cas, rien de banal ne germera dans
sa tête : ce sera le génie du bien ou du mal."
- Le Dormeur du val, écrit à 16ans, est un exemple de sa précocité
poétique.
- Rimbaud essaye d'aller à Paris lors des évènements de
1870-71 (la défaite contre l'Allemagne, la Commune de Paris) au lieu
de se présenter aux épreuves du baccalauréat.
- Fait la connaissance de Paul Verlaine en 1871, en emportant avec lui son plus
célèbre poème, "Le Bateau ivre"
- Rimbaud se révèle méprisant face aux gens de lettres
qui l'avaient accueilli, et reste seul avec lui Verlaine. Il réussira
même à lui faire quitter sa famille et aura des relations étranges
avec celui-ci, jusqu'à ce que Verlaine, lors d'une de leurs- fréquentes-
disputes, lui tire un coup de pistolet dessus (juillet 1873)
- En atteignant l'âge adulte, à vingt ans, il abandonne la poésie
et devient "l'homme aux semelles de vent", comme le surnommera Verlaine.
Il exercera alors différents métiers en Orient (mercenaire, contremaître,
négociant.) et rentrera mourir en France, ayant une blessure à
la jambe.- Il s'est définit comme un voyant, il voulait redéfinir
la poésie. Ceci est visible dans la "Lettre du voyant" adressée
à Paul Démeny : "Je est un autre. Je travaille à me
rendre voyant. Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant."
II. Son oeuvre
"Une saison en enfer" (printemps 1873), sorte d'autobiographie, qui se révèle être un échec puisqu'il renonce à être un "voyant". Illuminations d'où est tiré le poème étudié ici
a. situation
"Aube", fait partie du recueil Illuminations écrit lors de
son voyage avec Verlaine (1873-1875), ces poèmes reflètent l'univers
intérieur du poète. En prose, ils retracent les charmes et les
mystères d'une relation originale avec le monde. Ce recueil est le premier
en vers libres et sera admiré par les surréalistes (cf. feuille
à ce propos)
- Le titre du recueil "Enluminures" peut être perçu de
différentes manières : il peut avoir le sens d' "enluminures"
(sens anglais), ces dessins dont on enjolivait les parchemins, comme le précise
Verlaine dans sa préface (il fait éditer le recueil). Mais ce
terme peut aussi avoir le sens de visions hallucinées.
- On remarquera au niveau de la forme des textes qu'il s'agit de prose poétique,
sans vers ni rimes. On notera cependant qu'il subsiste certaines sonorités
et rythmes.
"Aube"
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps
d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant
les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et
les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli
de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins
: à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les
bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville
elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant
sur les quais de marbre,je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée
avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peuson immense corps. L'aube
et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
- Ce poème est assez complexe. Nous allons donc nous employer à
le décoder dans un premier temps. Il évoque la magie du monde
qui émerge des ténèbres.
- De quoi s'agit-il ?
L'Aube : au fil du texte, le jour se lève, la lumière progresse
et on arrive à midi. La "mtamorphose" : l'Aube n'est qu'une
image.
- Qui parle ?
Par la réponse à cette question, on explique la métamorphose
: "je" révèle l'auteur, c'est l'enfant qui parle. A
la fin du poème, "Au réveil, il était midi",
on remarque que l'auteur a quitté le domaine de l'enfance, il est devenu
adulte.
- On peut citer Eugène Ionesco, né en Roumanie, mais qui passa
son enfance en France (en Mayenne) et apprit sa deuxième langue paternelle
très tardivement, ce qui le marqua. Un jour il voit dans la rue des vieillards
qui se font frapper. Il dira plus tard en parlant de ce jour "Je suis né
à 14 ans" : c'est-à-dire quand il découvrit le monde
adulte, monde de la réalité. Ceci se retrouve dans Jacques ou
la soumission (1950). L'enfant, pour être intégré dans l'âge
adulte, doit répéter la phrase "J'aime les pommes de terre
au lard". Cette pièce de théâtre appartient à
l' "absurde" par ses textes comme toute l'oeuvre de Ionesco. Dans
Rhinocéros (1958), on assiste à la transformation progressive
de tous les hommes en rhinocéros. Ceci est en fait le symbole du totalitarisme
: tous les hommes adhèrent peu à peu au parti fasciste. Seule
une jeune fille, Bérengère, refusera de se transformer. L'enfant
crée un monde merveilleux, l'adolescent découvre la réalité,
le monde merveilleux a alors disparu. Les illustrations de ce monde merveilleux
:
- L'aube devient une femme qu'il va poursuivre, qu'il conquiert et dont il est
amoureux. Les termes qui nous permettent de le dire : "J'ai embrassé",
"déesse", "immense corps", "je levais un à
un les voiles", "je la chassais", "ses voiles amassés".
- Le moment où il quitte l'enfance : Au début, on voit un "je",
c'est la focalisation interne, l'enfant vit l'aventure, puis "l'aube et
l'enfant tombèrent" : c'est l'adolescent qui voit de l'extérieur
l'enfant qu'il a été.
b. composition linéaire
On étudiera en suivant le texte car ici on voit l'enfant de l'aube à
midi.
c. texte
Titre
- Etymologiquement, le mot "aube" vient du latin alba qui signifie
"blanc", c'est le moment où le ciel commence à devenir
blanc. L'auteur donne donc tout de suit l'essentiel, et le développe
par la suite.
1re ligne (paragraphe 1)
- Si l'auteur avait dit "j'embrassai", au passé simple, on
aurait interprété cela comme quelque chose d'achevé, de
disparu dans le passé.
- Le passé composé est le résultat d'une action passée,
et l'auteur dit "j'ai embrassé", on comprend qu'il ressent
toujours le merveilleux de ce rêve : il dort et se réveille à
la fin ("Au réveil")
cf. aussi les sonorités en bé dans "embrassé l'aube
d'été".
Paragraphe 2 ("Rien ne bougeait [.] sans bruit")
- L'auteur avance dans un décor somptueux : des "palais" et
des "pierreries", appartenant au champ lexical du conte, du rêve
; Les pierreries sont peut-être une image pour décrire la rosée
du matin, les pierres illuminées par le soleil.
- Mais la nuit (la mort ?) et la tristesse dominent encore : "l'eau était
morte", "Les camps d'ombre" (connotation militaire), "Rien
ne bougeait"
- Il va avoir une attitude active, il réagit : "J'ai marché",
comparable à une attaque militaire, à un rejet de la tristesse
et de la mort. En "réveillant", il donne vie à la nature,
dont les éléments sont personnifiés (c'est la conséquence),
il les anime : "les pierreries regardèrent", "les haleines"
sont un souffle de vie, elles sont "tièdes", donc on note le
champ lexical du feu, donc encore une connotation de vie. On peut relever les
sonorités en è et v, è comme un appel et v comme "vie"
: "J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes,
et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent".
- les "ailes" appartiennent-elles à des oiseaux ou sont-elles
une image pour décrire les arbres ? On remarquera l'harmonie dans "les
ailes se levèrent sans bruit", utilisée pour décrire
leur action furtive.
Paragraphe 3 (ligne "la première entreprise.")
- On retrouve une connotation militaire comme précédemment, "la
première entreprise" signifiant "la première que j'ai
conquise", la "fleur" est la jeune fille, mais cela représente
aussi la virginité (cf. verbe déflorer), on peut y voir une connotation
érotique.
- "une fleur qui me dit son nom" : la jeune fille lui donne sa "fleur".
Le mot "nom" est important, car lorsqu'on dit qu'on ignore le nom
de quelqu'un, c'est en fait l'être lui-même qu'on ignore.
- La progression de la lumière apparaît : elle est faite de "frais
et blêmes éclats" : elle est donc encore blafarde.
Paragraphe 4 (ligne "je ris au wasserfall...")
- C'est une communion avec la nature, il rit à la chute d'eau (wasserfall
en allemand, mot utilisé par Rimbaud car originaire des Ardennes), ce
wasserfall est métamorphosé en créature humaine (il "s'échevela").
La chute d'eau est similaire à une créature dont les cheveux sont
en désordre.
- "Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les
sapins" : noter les sonorités en a, l et s. Le a est la voyelle
propre au rire.
- Le soleil apparaît ensuite : la métaphore de la femme déesse
le souligne, et la pleine lumière par la "cime argentée".
Paragraphe 5 ("Alors...")
- Le poème va maintenant s'attacher à la relation amoureuse entre
l'Aube et l'enfant.
- Il la dénude ("voiles") avec douceur ("un à un").
Puis elle s'échappe, aussi la poursuit-il. (il dit "je la chassais",
mais il aurait autant pu écrire "je la pourchassais"), on note
l'opposition des termes "fuyait"/"chassais".
- Il y a un mouvement haletant ternaire : "Dans l'allée", "Par
la plaine", "Dans la grand'ville"
- On peut expliquer l'orthographe de "grand'ville" par le latin :
les adjectifs de la seconde classe comme grandis is signifiant "grand"
avaient la même traduction au masculin et féminin, et il en subsiste
encore : la grand-mère par exemple, contrairement à ceux de la
première classe : beatus a um, donne au masculin béat et au féminin
béate. Les adjectifs de la seconde classe ont aussi formé des
adverbes : fortis mente : (mente est l'ablatif de mens is, "la manière")
il signifie fortement. A l'usage, on supprimait aussi le "te", cela
faisait "forment".
- On retrouve un renversement de l'ordre des choses : l'auteur annonce ("dénonce")
l'aube au coq. C'est lui qui crée la lumière dans le monde. Le
lecteur est le Créateur. Il se compare à Dieu : dans la Bible,
au livre de la Genèse, on peut lire "Dieu dit "Que le lumière
soit" (fiat lux en latin). Et la lumière fut". Rimbaud se veut
démiurge (Dieu Créateur).
- L'auteur rapporte l'époque, il se croit dans une ville du Moyen Âge
("les clochers et les dômes"). Il exprime son besoin d'elle
(la jeune fille) : "comme un mendiant" par un terme contrastant avec
la richesse des "quais de marbre".
Paragraphe 6 (" En haut de la route.")
- Il veut montrer sa victoire (provisoire) : les "lauriers" ne sont-ils
pas le symbole de la gloire ? C'est une victoire cependant difficile : les lauriers
se situent "En haut de la route"
- Et elle se révèle être un échec : la jeune fille
est trop "grande" pour lui (il a "senti un peu son immense corps".
- "L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois". On voit que
l'auteur se regarde désormais de l'extérieur, le "je"
enfant a disparu.
Paragraphe 7 ("Au réveil, il était midi")
- Il a quitté le monde de l'enfance et est confronté à
la réalité. Il quitte le monde magique, monde merveilleux de l'enfance
dans lequel tout est possible et se réveille. Il veut dire que lorsqu'on
est adulte, la réalité ne se manipule plus à notre guise.
Conclusion
Le désir de créer un autre poésie
- "Le poète doit être un voyant" selon Rimbaud
- C'est l'alchimie du verbe, il faut opérer sur le langage, c'est un
travail d'alchimiste qui fera révéler à ce langage ce qu'il
cache profondément.
- On pourra reparler des Illuminations, sortes des "visions hallucinées"
pour expliquer le poète - voyant .
L'échec
- Dans le poème, l'enfant découvre une réalité décevante.
- Dans le dernier poème d'Une Saison en Enfer, intitulé "Adieu",
il écrit "Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé
de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et
la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !".
Ayant atteint l'âge adulte, il cessera d'écrire à vingt
ans.
- On peut aussi citer Baudelaire, qui disait : "la réalité
n'est pas la soeur du rêve".