Commentaire composé : Incipit Partie 1 . . Extrait de "Enfance"

Introduction :

Nathalie Sarraute est un écrivain français, née à Ivanovo, en Russie en 1900 et morte à Paris en 1999. Elle vit à Paris depuis l’âge de huit ans. Elle fait des études de droit puis se consacre à l’écriture. Elle affirmait que « toutes les autobiographies sont fausses ». Dans Enfance, elle a « juste voulu assembler les images tirées d’une sorte d’ouate où elles étaient enfouies ». Sarraute a participé au mouvement littéraire du Nouveau Roman.

Nous étudions ici la première partie de l’incipit où l’auteur met en place plusieurs éléments pour la suite. Quelle est l’originalité de cet extrait ? L’extrait est composé de dialogues, a quoi servent-ils ? Quels sont les points abordés ? Pourquoi l’auteur écrit-elle son autobiographie ? A quelles difficultés est-elle confrontée ?

I. Recours aux Dialogues

1. Les deux protagonistes du dialogue

Dans ce dialogue, deux personnes s’affrontent. Une première qui dit « je » (l.6). Elle ne commence pas le dialogue. Pourtant cette voix correspond à Nathalie Sarraute, à l’écrivain. L’autre voix dit « tu » en s’adressant à la première voix. C’est, en quelque sorte, la conscience de Nathalie Sarraute, son double. On peut considérer que ce sera la narratrice et donc l’autre l’auteur. Mais ce son bien deux fois la même personne, dédoublée.

2. Le rôle de chaque voix :

Dans ce dialogue, la voix conscience interroge l’auteur sur son projet. C’est d’ailleurs elle qui donne la définition du projet : « Evoquer tes souvenirs d’enfance » (l.1), définition qu’elle répète ensuite, à la ligne 4. La seconde voix sert de voix critique : « ça » pour caractériser le projet : c’est négatif. Elle impose à l’autre une réflexion sur le projet. Elle est lucide et veut que l’auteur s’interroge sur le projet : « est-ce que ce ne serait pas... » (l.14), « Si, il faut te le demander » (l.16). Elle pense que N.S. risque de dévier de ce qu’elle faisait jusqu’alors : refuser l’écriture traditionnelle. Mais ici, elle prend un risque : l’autobiographie est très classique. Elle pose une série de question qui invite Sarraute à s’interroger : « est-ce vrai ? » (l.23). Mais à partir de la ligne 52, elle change de rôle et d’opinion : « Bon. Je me tais... ». Elle s’est résignée. Nathalie Sarraute a convaincu sa conscience.

La voix de l’auteur avait au début un rôle de défense : elle défendait sa position. Elle refuse les arguments de la conscience : « Non, je ne crois pas » (l.11). Nathalie Sarraute change aussi. Elle se met à attaquer l’autre voix, directement. « Oui, ça te rend » (l.33). Elle n’est pas intimidée par l’autre. Elle ne veut pas se laisser influencer et ne répond pas toujours. « Je voudrais » (l.50) montre qu’elle est assurée. « Laisse moi » (l.51), « c’est de toi (...) tu me pousses » (l.55). C’est donc un retournement total : la première voix accuse la seconde de l’avoir incité à le faire. Elle prend le dessus.

La voix était critique mais aussi complice : les interruptions n’en sont pas toujours, ce sont plutôt des continuations de phrases, comme si chaque voix savait ce qu’allait dire la suivante. De plus le double fait des références à des événements passées : « nous savons bien » (l.53). Tout ceci montre qu’en fait les deux fois ne sont qu’une seule et même personne. Le narrateur et l’auteur sont dédoublés pour montrer qu’il faut convaincre les deux pour que ça fonctionne et que ça ne va pas de soi.

II. Mise en place d’un pacte autobiographique original

1. Un Projet classique...

« Evoquer tes souvenirs d’enfance ». Ceci est un projet autobiographique traditionnel qui n’est pas très original. Il est explicite dès le départ, à la ligne 1 puis répété à la ligne 14. L’auteur en ressent le besoin, c’est une sorte de désir auquel elle ne peut échapper. « Oui (...), ça me tente, je ne sais pas pourquoi » (l.6-7). Elle ne trouve pas de raisons : ce n’est pas la vieillesse : « c’est peut être que tes forces déclinent... Non, je ne crois pas » (l.10-11)

Elle tente de définir la matrice autobiographique. Elle en fait référence aux lignes 23 à 30 : « ça », « c’était là-bas » : références au passé, aux souvenirs. La définition est très imprécise : « ça », « fluctue », « transformé », « échappé ». C’est donc une matière informe, qui ne laisse pas se fixer, quelque chose qui échappe à un langage.

Le pacte autobiographique est mis en place. Dans ce contrat de lecture, Nathalie Sarraute met en avant son hésitation, son malaise et invite le lecteur à prendre part au débat. Ce dialogue sert à prévenir les lecteurs. « Evoquer », et non pas raconter, ce sera flou. Ce projet n’est pas stable et lacunaire.

2. ...mais une réalistaion atypique

Le pacte autobiographique, d’apparence classique ne l’est en fait pas. Plusieurs points sont étranges et pas classiques du tout.

Première étrangeté : il n’y aura pas de récit, Nathalie Sarraute ne racontera pas ses souvenirs d’enfance. De plus, elle ne fera pas de bilan. Son récit sera exhaustif mais elle refuse de l’affirmer, comme elle refuse également d’affirmer qu’il ne sera pas linéaire. Ce ne sera pas un récit, juste des souvenirs, éparses regroupés sous forme de « fragments » et non de chapitres. Nathalie Sarraute écrit par petits bouts. C’est une forme nouvelle d’écriture, un nouveau style. Elle revendique de ce fait une honnêteté, c’est une garantie.

Autre originalité : elle critique ce qu’elle va faire d’emblée : « ça ». Elle exprime ses doutes sur le genre, elle a peur du cliché, elle refuse les topos du souvenir d’enfance. (l.41). Elle fait référence aux Tropismes : « quitter ton élément » (l.17). Les souvenirs s’échappent, ne se laissent pas saisir. C’est la garantie de son authenticité. Son entreprise est originale : elle essaie de saisir des souvenirs fluctuants. Elle fait un parallèle entre les tropismes et les souvenirs (l.45). Elle veut utiliser les souvenirs comme elle utilise les tropismes. Elle montre ainsi qu’Enfance a sa place dans son œuvre, c’est une façon de se justifier.

N.S. a déjà écrit une autobiographie classique. Ou plutôt essayé car ça n’a pas marché. (l.37-40).

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