Commentaire composé SAINT EVREMOND - SUR LES POÈMES DES ANCIENS .


L'extrait étudié
Le génie de notre siècle est tout opposé à cet esprit de fables, et de faux mystères. Nous aimons les vérités déclarées : le bon sens prévaut aux illusions de la fantaisie, rien ne nous contente aujourd’hui, que la solidité et la raison. Ajoutez à ce changement de goût, celui de la connaissance. Nous envisageons la nature, autrement que les anciens ne l’ont regardée. Les cieux, cette demeure éternelle de tant de divinités, ne sont qu’un espace immense et fluide. Le même soleil nous luit encore ; mais nous lui donnons un autre cours : au lieu de s’aller coucher dans la mer, il va éclairer un autre monde. La terre immobile autrefois, dans l’opinion des hommes, tourne aujourd’hui, dans la nôtre, et rien n’est égal à la rapidité de son mouvement. Tout est changé : les dieux, la nature, la politique, les moeurs, le goût, les manières. Tant de changements n’en produiront-ils point, dans nos ouvrages ? Si Homère vivait présentement, il ferait des poèmes admirables accommodés au siècle où il écrirait. Nos poètes en font de mauvais ajustés à ceux des anciens, et conduits par des règles, qui sont tombées avec des choses que le temps a fait tomber.

Je sais qu’il y a de certaines règles éternelles, pour être fondées sur un bon sens, sur une raison ferme et solide, qui subsistera toujours ; mais il en est peu qui portent le caractère de cette raison incorruptible. Celles qui regardaient les moeurs, les affaires, les coutumes des vieux Grecs, ne nous touchent guère aujourd’hui. On en peut dire ce qu’a dit Horace des mots. Elles ont leur âge et leur durée. Les unes meurent de vieillesse : ita verborum iuterit aetas ; les autres périssent avec leur nation, aussi bien que les maximes du gouvernement, lesquelles ne subsistent pas, après l’empire. Il n’y en a donc que bien peu, qui aient droit de diriger nos esprits, dans tous les temps ; et il serait ridicule de vouloir toujours régler des ouvrages nouveaux, par des lois éteintes. La poésie aurait tort d’exiger de nous ce que la religion et la justice n’en obtiennent pas.

C’est à une imitation servile et trop affectée, qu’est due la disgrâce de tous nos poèmes. Nos poètes n’ont pas eu la force de quitter les dieux, ni l’adresse de bien employer ce que notre religion leur pouvait fournir. Attachés au goût de l’antiquité, et nécessités à nos sentiments, ils donnent l’air de Mercure, à nos anges, et celui des merveilles fabuleuses des anciens, à nos miracles. Ce mélange de l’antique et du moderne leur a fort mal réussi : et on peut dire qu’ils n’ont su tirer aucun avantage de leurs fictions, ni faire un bon usage de nos vérités.

Concluons que les poèmes d’Homère seront toujours des chefs-d’oeuvre : non pas en tout des modèles. Ils formeront notre jugement ; et le jugement réglera la disposition des choses présentes.

Saint-Evremond, Sur les poèmes des Anciens, ( 1685 ), Extrait

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Introduction :

Saint-Evremond, auteur classique, était un fervent défenseur des Modernes. Dans cet extrait, il montre que la littérature doit suivre l’évolution de la société. Sa thèse s’appuie sur :
un constat scientifique : les connaissances ont changé, la littérature doit s’adapter (§ 1),
un argument d’autorité par une référence Homère, montrant ainsi que les oeuvres sont influencées par l’époque où elles sont écrites, (paragraphe 2)
l’aspect technique, qui selon lui doit être modifié, car les règles antiques sont désuètes, (§ 3)
un argument esthétique : le manque d’homogénéité des poèmes par rapport à la société à laquelle ils sont destinés est une faute de goût. (§ 4) Il parvient à la conclusion qu’il n’est pas possible ni souhaitable d’imiter l’Antiquité, mais qu’il faut l’admirer. ( dernier §) Nous comparerons ce texte avec celui de Fénelon, Lettre à l’Académie, écrite en 1714, en étudiant leur thèse, leurs arguments et les références utilisées

I. LES THESES

Saint-Evremond écrit en 1685, il est au coeur de la querelle des Anciens et des Modernes. Il prend donc clairement position. Fénelon, lui, arrive à la fin du classicisme, les Modernes sont victorieux de la querelle. Il a plutôt un rôle conciliateur.

Saint-Evremond se base sur l’anachronisme. Fénelon veut définir ce qu’est exactement le classicisme, et ce qu’il est devenu. Tous deux envisagent donc le rapport entre la littérature et l’Antiquité, et plus généralement le temps.

II. LES ARGUMENTS

Il faut étudier la valeur des arguments utilisés.

Saint-Evremond utilise un argument scientifique, qu’on ne retrouve pas chez Fénelon.

Par contre, on retrouve un argument technique dans les deux cas : pour Saint-Evremond, les techniques se démodent, tandis que pour Fénelon, elles ne se comparent pas.

Tous deux s’intéressent aussi à l’imitation. Saint-Evremond la considère comme une faute de goût, Fénelon pense qu’il est inutile d’imiter, car la compétition est inutile.

III. LES REFERENCES

Les deux auteurs citent Homère. Cet écrivain se trouve à l’origine de la civilisation. Cependant, ils n’en font pas le même usage. Saint-Evremond pense qu’Homère a écrit des chefs d’oeuvres, non des modèles. Il montre qu’une oeuvre se lit en fonction de l’époque à laquelle elle a été écrite. Fénelon l’utilise pour montrer la relativité de la beauté par rapport aux oeuvres antérieures et postérieures.

Fénelon se sert d’une autre référence : l’architecture. Elle lui permet de faire un raisonnement par analogie.

Conclusion

Tous les deux voient la victoire des Modernes. Le temps leur a donné raison, puisqu’après le classicisme, deux courants littéraires modernes naissent :
le rationalisme (1720-1750), avec Voltaire
la sensibilité (1750-1789), courant pré romantique représenté par Rousseau Ils inaugurent des genres nouveaux, comme le conte, la lettre, l’autobiographie, le roman