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Titre :
Époque : Non définie
A partir de "Cette méditation sur ce qui avait pu faire peur à l'homme..." jusqu'à la fin.
Julien est désormais engagé comme précepteur des enfants
de M. de Rênal. Quelques semaines ont passé et un jour Julien réalise
qu'il vient de gagner une double victoire sur M. de Rênal : il a réussi
à dissimuler un portrait de Napoléon dans sa chambre alors qu'il
vit chez M. de Rênal, un royaliste ; il a réussi à obtenir
une augmentation de salaire assez facilement, en exerçant un chantage
sur Monsieur de Rênal. Pour faire le bilan de cette journée victorieuse,
il prétexte un retour à Verrières pour aller marcher tout
seul dans la nature.
Julien s'échappa rapidement et monta dans les grands bois par lesquels
on peut aller de Vergy(1) à Verrières. Il ne voulait point arriver
si tôt chez M.Chélan(2). Loin de désirer s'astreindre à
une nouvelle scène d'hypocrisie, il avait besoin d'y voir clair dans
son âme, et de donner audience à la foule de sentiments qui l'agitaient.
J'ai gagné une bataille, se dit-il aussitôt qu'il se vit dans les
bois et loin du regard des hommes, j'ai donc gagné une bataille !
Ce mot lui peignait en beau toute sa position, et rendit à son âme
quelque tranquillité.
Me voilà avec cinquante francs d'appointements par mois, il faut que
M. de Rênal ait eu une belle peur. Mais de quoi ?
Cette méditation sur ce qui avait pu faire peur à l'homme heureux
et puissant contre lequel, une heure auparavant, il était bouillant de
colère, acheva de rasséréner(3) l'âme de Julien.
Il fut presque sensible un moment à la beauté ravissante des bois
au milieu desquels il marchait. D'énormes quartiers de roches nues étaient
tombés jadis au milieu de la forêt du côté de la montagne.
De grands hêtres s'élevaient presque aussi haut que ces rochers
dont l'ombre donnait une fraîcheur délicieuse à trois pas
des endroits où la chaleur des rayons du soleil eût rendu impossible
de s'arrêter.
Julien prenait haleine un instant à l'ombre de ces grandes roches, et
puis se remettait à monter. Bientôt par un étroit sentier
à peine marqué et qui sert seulement aux gardiens de chèvres,
il se trouva debout sur un roc immense, sûr d'être séparé
de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait
la position qu'il brûlait d'atteindre au moral. L'air pur de ces montagnes
élevées communiqua la sérénité et même
la joie à son âme. Le maire de Verrières était bien
toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de
tous les insolents de la terre ; mais Julien sentait que la haine qui venait
de l'agiter, malgré la violence de ses mouvements, n'avait rien de personnel.
S'il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours il l'eût
oublié, lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille.
Je l'ai forcé, je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice.
Quoi ! plus de cinquante écus par an ! Un instant auparavant, je m'étais
tiré du plus grand danger. Voilà deux victoires en un jour, la
seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment. Mais à
demain les pénibles recherches.
Julien, debout sur son grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un
soleil d'août. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher,
quand elles se taisaient tout était silence autour de lui. Il voyait
à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque épervier parti des grandes
roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps
à autre, décrivant en silence ses cercles immenses. L'œil
de Julien suivait machinalement l'oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles
et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement.
C'était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne
?
1-Vergy : petite ville du
Jura où la famille de Rênal passe ses vacances d'été.
2-M.Chélan : c'est l'abbé Chélan curéde Verrières.
3-Rasséréner : apaiser, calmer.
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