Commentaire composé : Le cygne : Sully Prudhomme (1839-1907)

Texte étudié :

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'ombre avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d'avril qui croulent au soleil ;

Mais ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphyr,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux.
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Il cache son bec noir dans sa gorge éclatante.

Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente et laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure.

Tantôt il pousse au large et loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.

Puis quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
A l'heure où toute forme est un spectre confus,
L'oiseau dans le lac sombre où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette,
Comme un vase d'argent parmi les diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.

Sully Prudhomme, Le cygne

Lecture analytique:

René François Armand PRUDHOMME, plus connu sous le pseudonyme de Sully PRUDHOMME, est né à PARIS le 16 mars 1839.

Il suit une formation d’ingénieur. Vite déçu par son travail il reprend des études et se consacre au droit et à la philosophie puis décide finalement de se vouer entièrement à la littérature.

En 1869 Sully PRUDHOMME publie un recueil intitulé « Les Solitudes » duquel est extrait « Le cygne ».

Dans ledit recueil il tente de réconcilier lyrisme et formalisme et sa poésie commence à prendre un caractère philosophique.

Sully PRUDHOMME est aussi un penseur profond et un amant de la science et par ce dernier trait il appartient au mouvement parnassien.

Il meurt le 6 septembre 1907 à CHATENAY MALABRY dans les Hauts de Seine.

« Le Cygne » se présente sous la forme d’un poème lyrique où l’auteur veut réhabiliter le primat de la beauté formelle.

Nous nous attacherons à préciser d’abord les idées dégagées par le poète avant d’analyser la syntaxe de l’œuvre.

L’auteur procède à une description du cygne en mouvement. Cet élément se vérifie par l’accumulation des verbes de mouvement « glisse », « l’entraîne », « dresse », « plonge », « cache, « serpente », « va », « pousse ». Il en dresse un tableau animé mais quasi-silencieux voire silencieux afin de favoriser son recueillement et celui du lecteur. Pour renforcer l’ondulation il compare même le cygne à un navire. De plus pour varier le mouvement de la promenade, Sully PRUDHOMME utilise l’adverbe de temps « tantôt » qui figure aux vers 11 et 19.

Le poète dresse aussi un portrait majestueux du cygne. Il le considère comme un animal gracieux. Cet aspect se visualise par l’emploi de « le courbe gracieux », extrait du vers 9, ou « sa gorge éclatante », figurant au vers 10 ou encore « superbe », indiqué au vers 20. On peut même affirmer qu’il le vénère, le personnifie notamment vers 13, le déifie en le comparant à une sculpture en précisant « profil d’acanthe » mentionné au vers 9. De plus il le situe dans un lieu immaculé en le faisant évoluer dans un milieu de joyaux puisqu’il indique « comme un vase d’argent parmi des diamants » et « la place éblouissante où le soleil se mire ». Ainsi, comme Aristote Sully PRUDHOMME veut affirmer « le spectacle de la nature est toujours beau ».

Cependant il faut remarquer que l’emploi multiple de l’anaphorique « il » ou de ses métonymes « son aile », « son col » aboutissant à la description de l’animal apporte son lot de nouveauté voire de surprise telle l’antithèse des vers 4 et 5 ou le syntagme «mais ferme et d’un blanc mat » contredit « à des neiges d’avril qui croulent au soleil ».

Il convient ensuite de souligner que le corps de l’animal et l’espace liquide assurent la médiation entre le jour comme l’indique le vers 20 et la nuit ainsi que précisé au vers 23 ou dans l’extrait du vers 29 « l’oiseau, dans le lac sombre ».

Il faut encore relever l’action lumineuse intermittente intense et durable de surfaces immaculées aussi bien nocturnes, comme précisé dans les vers « la splendeur d’une nuit lactée et violette » ou « entre deux firmaments » extrait du vers 32, et encore « au clair de lune » figurant au vers 28, que diurne tel qu’indiqué « où le soleil se mire » extrait du vers 22, ou « fêter sa blancheur » figurant au vers 21 et enfin au vers 4.

De plus, la grotte citée au vers 15 crée un mythe et représente l’endroit où le cygne recueille la confidence du poète. Il faut cependant préciser que ce dernier est davantage le complice que le symbole de l’oiseau.

Dans le poème Sully PRUDHOMME oppose aussi les isotopies plénitude et harmonie. Il l’effectue par la conjonction des couleurs, des éléments et des règnes.

L’eau est également un thème important car le cygne médite entre différentes liquidités à savoir : le lacté celestre se reflétant dans le miroir du lac et les pleurs romantiques de la source.

Enfin le vers « A l’heure où toute forme est un spectre confus » traduit pour le cygne l’espoir en un avenir meilleur.


L’analyse de la syntaxe du poème nous permet de remarquer que celui-ci est composé de strophes dans lesquelles les vers sont regroupés en distique. Afin de varier les sonorités et de créer l’harmonie l’auteur a produit des rimes différentes. Ainsi les vers « sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l’ombre avec ses larges palmes » constituent des rimes riches,
les vers « Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d’avril qui croulent au soleil ; » correspondent à des rimes plates
et les vers « Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux », sont des rimes suffisantes.

La beauté de la nature et du cygne sont enfin rendues sensibles par le caractère soutenu du vocabulaire employé. On peut même affirmer que le poète a cherché « les mots les plus nobles » pour les décrire.

Il a aussi créé, dans le but d’insister sur les descriptions, de nombreux champs lexicaux tel que d’une part celui de l’eau qui se vérifie par l’emploi de « lac, eaux, source », d’autre part celui de la nature étayé par « roseaux, feuille, jonc, glaïeul, rainette, luciole, oiseau, grotte, pin, herbage », puis celui du corps de l’animal corroboré par « palme, duvet, flanc, aile, col, bec, gorge, épaule, tête » et enfin par celui des couleurs et des reflets illustré par « blanc mat, noir, obscur, azur, blancheur, rouge, violette, lactée, éblouissant, spectre confus, brunit, clair de lune, luit ».

L’emploi du présent comme temps verbal a pour but de donner l’impression au lecteur de vivre un tableau vivant accompagné d’un rythme lent, propice à la promenade, et descriptif. Ce rythme est, de plus, renforcé par la ponctuation du poème qui est majoritairement constituée de virgules et de points virgules.

Enfin, pour rendre son poème original et mettre le cygne en valeur, Sully PRUDHOMME utilise des figures de rhétorique notamment des métaphores comme « Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire » et des comparaisons tel que « Traîner derrière lui comme une chevelure ».

Devant un tel tableau l’auteur s’émerveille devant la beauté de la nature. Il l’écoute, l’observe et nous transmet avec ferveur et persuasion son amour bucolique que nous ne pouvons que partager.

Sully PRUDHOMME veut donc proclamer ainsi que George SAND : « La nature est éternellement jeune, belle et généreuse. Elle possède le secret du bonheur, et nul n’a su le lui ravir ».

On peut également affirmer que ce poème nous fait penser au ballet « Le Lac des Cygnes » de TCHAIKSKI. Dans cette œuvre l’auteur traite aussi de la beauté, de la majesté et de la grâce des cygnes nageant sur une nappe limpide en les personnifiant également puisque ceux-ci se transforment en jeunes femmes.

Enfin on ne peut manquer de citer ici l’une des sources les plus connues du Cygne de Sully PRUDHOMME, celle de cet autre parnassien que fut Théophile GAUTIER, qui dans son recueil « Emaux et Camées » paru en 1852 rédigeait « Fantaisie d’hiver ». Cependant bien que ces œuvres soient liées il convient de noter que des différences existent entre elles. En effet Théophile GAUTIER met au premier plan une féerie avouée et l’hiver. Il effectue aussi une incarnation mythologique de la beauté en faisant intervenir Vénus et Phocion. A l’inverse Sully PRUDHOMME masque le merveilleux par l’abondance des détails de la promenade et accorde une importance prépondérance au noble oiseau.