Commentaire composé : NATHALIE SARRAUTE - ONDES DE VIE . . Extrait de "Enfance"


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Introduction :

Ce fragment vient après celui de la première rencontre avec Vera et avant celui du retour chez sa mère.

La Narratrice évoque des instants passés à Paris chez son père alors qu’elle vit encore le plus souvent chez sa mère, en Russie. Dans ce fragment très bref, elle semble vouloir reconstruire le souvenir de moments heureux pour retrouver non l’événement en soi mais la alors sensation éprouvée.

Quelle est la relation entre l’écriture et la sensation ? Il sera intéressant d’observer comment la forme de l’écriture si particulière parvient à évoquer la sensibilité en éveil de l’enfant. C’est le problème de la traduction écrite de la sensation.

I. Un cadre particulièrement simple

La narratrice, pour tenter de se repérer dans ses souvenirs dispersés qu’impose la situation familiale, éprouve le besoin de situer avec précision le cadre énonciatif dans lequel se déroule l’instant narré.

1. Le Lieu

L’action se passe dans le jardin du Luxembourg, dans le jardin anglais où rien n’est ordonné. C’est un détail important car le fouillis apparent de la végétation et son aspect sauvage sont propices à la rêverie.

Espalier, fleurs -> végétation

2. Les Personnages

Véra : "jeune femme qui..." -> permet de comprendre que la narratrice se situe dans le point de vue de l’enfant. La narratrice veut adopter le point de vue de l’enfant et dans son état d’esprit de l’époque.

Père. On ne sait rien sur lui.

3. Le livre de conte

Les contes représentent la rêverie, l’imaginaire, l’irréel et le merveilleux. C’est à partir du livre de conte que Nathalie Sarraute rêve. Il symbolise la féerie et le monde rassurant de la petite enfance. Le livre renvoi à la magie qui emporte l’enfant hors d’une réalité souvent froide et sévère.

Tout est propice à la rêverie.

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Cependant, la précision de l’évocation d’un cadre rassurant pour l’enfant est tempéré par plusieurs éléments : "il me semble", "ou"

C’est un pacte de lecture : en choisissant de ne pas dévoiler plus que l’enfant ne connaît, la narratrice peut alors s’immerger de son enfance pour la dire telle qu’elle l’a ressentie à l’époque.

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II. Un bonheur moins événementiel que sensitif

Expression d’une sensation intense : l’enfant est initié à la beauté du monde et à son harmonie

1. Champ lexical de perception

"Eprouver"

2. Description picturale

Champ lexical de couleur : teintes franches pour le sol et le ciel et teintes pastels pour éléments qui se détachent : fleurs roses et blanches et murs de briques.

Enumération, juxtaposition et insistance sur forme et couleur.

Dénote l’harmonie et la douceur qui entourent la fillette et qui contrastent avec la violence de la sensation.

3. La violence de la sensation

Locutions verbales : "tout à coup", "à ce moment-là"

Répétitions du motif floral à trois reprises : l.15, l.32 et l.42 -> comme s’il n’y avait que ça dans le paysage.

L.32, gradation : "m’emplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre"

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L’enfant sort d’elle-même pour fusionner dans un mouvement très romantique avec la nature. Il y a répétition lyrique de "rien" à la fin du texte.

Problème : comment exprimer une telle force ? Nous allons envisager le problème de l’écriture.

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III. Dire l’indicible

Ecrire son enfance, c’est la faire revivre. Comme l’affirme la narratrice à la fin d’Enfance (p.227), l’écriture autobiographique doit permettre de « faire surgir quelques moments, quelques mots qui me semblent encore intacts ».

La narratrice s’interroge sur les moyens offerts par le langage pour parvenir à « capter » un instant qu’elle ne parvient pas à nommer.

Quels sont les moyens offerts pour le faire quand même ?

1. Les périphrases

« Cela » ; « ce qui m’est arrivé » ; « c’est venu » ; « quelque chose d’unique qui ne reviendra plus jamais de cette façon » ; « ce qui m’emplit » ; « cette sorte d’intensité là ».

« Ondes de vie » -> métaphore du sentiment de plénitude.

Il y a beaucoup de démonstratifs et d’indéfinis pour traduire le sentiment : « ce », « cette »

2. La construction du texte et son organisation syntaxique

Emploi de longues phrases segmentées par des points de suspension. C’est une façon de mimer le travail de conscience.

Procédés de mise en relief et de gradation : ils comblent l’absence du mot juste.

3. Hésitation dans les choix syntaxiques

Tentative pour trouver le mot juste qui ne servirait que pour cela puisque c’est : « unique ». Succession de synonymes, chacun invalidé. Répétition des interrogations centrées sur le mot : « mot » : « Mais quel mot peut s’en saisir » et « quel autre mot »

Le seul mot recherché qui possède une majuscule est : « Joie » car c’est celui qui s’approche le plus du « mot »

Le mot recherché serait la vie de son essence.

Enjeu du texte : le langage est insuffisant.

La mise en évidence du lyrisme montant du passage témoigne d’une implication totale de la narratrice adulte qui fusionne avec la petite fille qu’elle fut pour faire revivre cet instant de bonheur. Pour Nathalie Sarraute, l’écriture autobiographique vise essentiellement à retrouver des instants uniques, souvent indicibles qui sont le propre de la mémoire enfantine.