Commentaire composé : NATHALIE SARRAUTE - BEAUX SOUVENIRS D’ENFANCE . Extrait de "Enfance"


Introduction :

C’est l’un des fragments les plus longs de l’œuvre. Nous n’en étudierons que les quatre premiers paragraphes. Il est placé après la demande de l’enfant à la mère d’un petit frère ou d’une petite sœur et avant la remémoration de la maison natale d’Ivanovo en Russie. De ces textes surgit la solitude de l’enfant. Notre texte immerge au contraire la petite fille dans une vrai famille : celle de son oncle Gacha. Cet extrait est atypique dans l’œuvre.

L’extrait est le récit d’un souvenir d’enfance brutalement interrompu par une réticence de la narratrice qui est de figer ce souvenir car il lui apparaît comme étant un topos (cliché, en littéraire)

Dans Enfance, Nathalie Sarraute redoute avant tout d’écrire une autobiographie classique car elle considère que s’écrire, c’est mentir, c’est tuer ses souvenirs en les mettant en mots. Nous verrons comment elle tente d’y échapper à l’écriture d’un topos du souvenir d’enfance et comment la magie de l’écriture l’y soumet. Mais il sera intéressant d’étudier la façon dont un écrivain ayant appartenu au Nouveau Roman réactualise le topos du souvenir d’enfance.

I. LE DEDOUBLEMENT DU "JE"

Le « je » adulte contre le « je » enfant et contre le beau souvenir d’enfance.

1. Un topo du souvenir d’enfance

C’est un souvenir heureux dans une famille unie alors que Nathalie Sarraute vit dans milieu séparé à connotation méliorative. Les souvenirs de vacances sont communs à toutes les autobiographies.

2. Coexistence de deux "je"

Le problème de l’écriture autobiographique réside dans la coexistence de ces deux « je » : de l’enfant et de l’adulte qui jette souvent sur l’enfant qu’il a été un regard critique. D’où alternance du récit de l’analyse. « Je » présent dans le deuxième paragraphe, de narration. Présence de « maman », « livre de la bibliothèque rose ». Tournure enfantine : « celui des frères de maman qui est avocat » Le « je » adulte se trouve dans le troisième paragraphe : « j’hésite un peu » (l.20). C’est l’écrivain qui parle ici Il y a un dédoublement avec la conscience. Le « je » enfant revient dans le dernier paragraphe.

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L’alternance entre le « je » adulte et le « je » enfant témoigne d’une réticence à se révéler.

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3. Critique du topos du souvenir d’enfance

Refus du conformisme de l’autobiographie. De plus, la notion de famille est quelque chose de douloureux pour Nathalie Sarraute car ses parents sont séparés et elle est abandonnée par sa mère. Mise à distance du topos : hésitation, guillemets autour de « beaux souvenirs d’enfance » à mise à distance L’auteur s’exclut, ne se sent pas concerné par les « beaux souvenirs ». Il y a des questions rhétoriques qui n’attendent pas de réponses. Questions ironiques : « fabriquer », « préparer » Critiques dans le troisième paragraphe : « modèles les plus appréciés, les mieux côtés »

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Le tropisme, la saisie de sentiment fugace ne peut pas renaître car il est menacé par des représentations toutes faites : la plongée dans les souvenirs est par conséquent suspendue. Mais cette censure du souvenir est annulée par le double de la narratrice

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II. LE ROLE ACTIF DE LA CONSCIENCE

La voix critique prend ici un rôle actif dans la construction de souvenirs d’enfance.

1. Un rôle de confident

« Ça ce comprend » -> double acquiescement.

2. Un rôle de relance du récit

La voix incite à plus réfléchir. Elle a des formules encourageantes : « laisse toi aller un peu », « c’est si tentant », « après tout ». Elle l’a rassure Elle reformule les propos de la narratrice : « possède -> possesseurs » pour désamorcer l’ironie. Elle les adoucit. « Beauté » est connotée positivement, il n’y a plus de guillemets (l.21) L’adjectif « intense » pousse narratrice à continuer son évocation.

III. L’INTENSITE DU SOUVENIR : UN TABLEAU VIVANT

Pour échapper à cette représentation toute faite, la narratrice va ranimer le souvenir et lui donner vie, grâce à son évocation, si bien qu’écrire son autobiographie, c’est faire revivre son passé, sans le figer

1. Le présent permet d’établir une proximitéchronologique : se souvenir, c’est faire revivre son passé :

Au début su quatrième paragraphe : « je » adulte. A la fin du paragraphe : « je » enfant. Il y a donc eu une modification de l’énonciation au cours de l’évocation du souvenir. Cela montre qu’il faut se mettre dans la peau de l’enfant pour écrire son autobiographie authentique. L’instant est présenté comme un moment unique.

2. Un souvenir de plus en plus précis

Au fur et à mesure de l’écriture, le souvenir revient lentement. . Au début, l’auteur affirme : « tout a conservé son exquise perfection » (l.32). Cette annonce permet de plonger dans le souvenir. Effet de zoom : grossissement de l’image du souvenir : Maison -> salle -> mobilier -> scène familiale autour de la table qui est au centre de la pièce. De nombreux détails sont évoqués. Métaphore des recoins et des escaliers -> mémoire, travail de la mémoire.

3. La jubilation des détails

Le description se poursuit sur plusieurs pages : la narratrice se laisse envahir par le souvenir, par la magie du souvenir : plaisir prit à la remémoration. L’attention accordée aux détails : précision extrême. l.38-42 : compléments du nom, accumulation du présent. C’est un tri effectué dans les souvenirs Il s’agit donc bien d’un topo de souvenirs d’enfance, avec une famille unie, une grande maison. C’est un instant exceptionnel. Mais cet extrait est à lire à deux niveaux : la réactivation d’un souvenir encore vivant mais aussi le fait que Nathalie Sarraute nous livre un échantillon du travail sur la mémoire. L’écriture autobiographique permet de revivre, de façon aussi intense que par le passé les souvenirs.