Commentaire composé : Ronsard : Marie, qui voudrait votre beau nom tourner

Introduction :

Le XVIème siècle est caractérisé au niveau poétique par un renouveau des formes du Moyen Age. Le sonnet est une de ces formes nouvelles, emprunté à l’italien Pétrarque. Un groupe de poètes va réfléchir à cette poésie nouvelle : la Pléiade, regroupant sept poètes, les deux plus célèbres étant Du Bellay et Ronsard.

Ronsard est certainement le plus célèbre de la Pléiade, et le plus reconnu à son époque. Ses recueils de sonnets amoureux sont toujours dédiées à une femme ; ainsi, la Continuation des amours s’adresse t-elle à une jeune paysanne nommée Marie.

Ce poème est un sonnet régulier de type CC DEED, en alexandrins. Le poète tente de convaincre Marie de la nécessité de l’aimer et d’aimer de façon plus générale.

Nous pourrons nous demander comment, derrière le lyrisme amoureux apparemment personnel et intime se dessine une conception plus générale de l’amour.

I. Un sonnet fondé sur une structure argumentative : il faut convaincre la femme d’aimer

La thèse de Ronsard se trouve dés le début du sonnet, vers 2 : « aimez moi donc Marie ». Cette thèse est validée par une série d’arguments, dont la succession épouse parfaitement la forme du sonnet.

1. La situation d’énonciation :

a) Les indices :

Le premier mot du poème est une apostrophe : « Marie », ce qui correspond à la destinataire du poème. Dans le premier vers, le poète utilise « votre », « aimez » dans le second vers. Elle est donc mise en valeur, le poète n’apparaît qu’au second plan : « moi » (v.2).

Au vers 6, le situation d’énonciation change : « nous » qui figure un couple hypothétique. A la fin, « je » revient à deux reprises.

b) La dimension argumentative du poème :

Présence de l’impératif aux vers 2, 3 et6 « aimez », « faites ». Répétition de l’apostrophe « Marie » deux fois. Ils sont judicieusement placés dans le poème : soit au début d’un vers, soit à la fin.

Au vers 9, on a une tournure impersonnelle qui a valeur injonctive. Présence de liens logiques : « donc », « et » et des « : ».

Le locuteur cherche donc à convaincre par un raisonnement construit Marie.

2. Les deux premiers quatrains : une première série d’arguments relatifs à la particularité du couple :

· Premier argument, vers 1 à 3 : il repose sur le prénom de la femme aimée. Le verbe « aimer » est l’anagramme de « Marie ». C’est un argument qui repose sur une conception cratyléenne du langage (alliance naturelle entre le mot et la chose : le mot n’est pas choisi au hasard) : le simple nom de Marie signifie l’amour. Cela est naturel, d’où la présence du « donc »

· Deuxième argument, vers 4 à 6, il repose sur l’idée que le poète est l’amant idéal. Le superlatif au vers 4 prouve que Ronsard est un amant exceptionnel, apte à offrir les plaisirs de la vie à Marie.

· Troisième argument aux vers 7 et 8, il repose sur l’idée de fidélité. L’emploi des verbes au futur signale qu’il envisage l’avenir du couple : « prendrons » (v.6), « pourras » (v.8)

Le poète souhaite s’engager dans une relation durable, ce qui est confirmé par les pronoms personnels, d’abord séparés puis réunis dans le « nous », « pendus l’un l’autre au col » ; par un engagement intense : « jamais nulle envie » (v.7), expression très forte ; par l’enjambement aux vers 7 et 8 qui évite la rupture entre les deux vers et qui montre le lien exceptionnel. Le poète jure donc à Marie fidélité éternelle.

3. Les deux tercets : une deuxième série d’arguments, non plus relatifs à la particularité du couple, mais d’une portée plus générale :

On constate de ce point de vue une rupture au niveau de la volta

· Premier argument général, vers 9 à 12 : l’amour est le fondement même de l’Homme, personne ne peut s’en passer. V.9 : « quelque chose », ce n’est pas l’objet de l’amour qui compte mais le fait d’aimer. L’exemple du Scythe, barbare inhumain est un exemple repoussoir : celui qui ne veut pas être Scythe doit aimer.

· Second argument général, vers 12-13 : celui qui n’aime pas se prive du bien suprême : la douceur.

4. La chute du sonnet : introduction d’un nouvel argument :

La chute met en tension deux notions : l’amour et la mort : la mort et préférable à la vie sans amours.

On peut remarquer la variété des arguments et leur gradation : du cas particulier au couple en général pour finir sur l’image la plus forte : celle de la mort. Ronsard utilise pour mettre en valeur cette gradation les lieux stratégiques du sonnet : la volta et la chute.

Mais, comme pour toute argumentation, la conviction ne peut se passer de la persuasion

II. Une tentative de séduction, en plus de convaincre, il faut persuader :

1. Séduire par le langage :

a) Le jeu de mot initial se répand dans tout le sonnet dont il semble l’origine :

L’habilité séduisante de l’anagramme semble diffuser le thème de l’amour dans le poème, qui n’est qu’une variation sur un mot : aimer. Il est répété plusieurs fois : « aimer » (v.2), « aimez » (v.2), aux vers 6, 8, 9, 10, « aime » (v.14), « amour » (v.4). La majuscule du premier « aimer » donne une dimension sacrée de l’amour. « Aimez moi » est répété plusieurs fois.

b) Ce jeu de mots est savamment mis en valeur par la conjonction de plusieurs procédés :

· Effet de chiasme : « Marie ... Aimer ... aimez ... Marie »

· Le verbe aimer se trouve milieu d’un vers, à la fin du premier hémistiche ou au début du second. Le verbe encadre donc la césure.

· Marie : soit en début soit en fin de vers, places stratégiques

2. Séduire en variant les tonalités : le poète peut ainsi toucher tous les aspects de la sensibilité :

a) Dans les deux quatrains, le ton est assez léger :

La séduction est avant tout d’ordre intellectuelle car elle repose sur un jeu de mot assez amusant.

Le thème du plaisir est développé et qui conserve une connotation positive au début de ce poème.

b) Du vers neuf au vers douze, le ton devient sérieux :

Le propos plus général est donc plus sérieux.

Les termes privatifs font leur apparition : « qui n’aime point » (v.10) et « sans goûter » (v.12). Jeu sur les sonorités qui met en valeur certains thèmes. Assonance en « i » du vers 11 : « vie d’un Scythe » qui met en valeur le contre exemple du scythe. c) Vers 13 et 14 : la chute, le ton est empreint d’émotion :

Exclamations : 3 points d’exclamation, deux interjections et une phrase exclamative qui marquent l’émotion du poète. Présence de question oratoire.

Deux thèmes nouveaux, antithétiques par rapport aux quatrains, le regret : « Las » et la mort : « trépasser »

Bouleversement du rythme : contre rejet : « à l’heure / Que n’aimerais je point puissé-je trépasser »Problème au vers 13 : bouleversement du rythme interne : « Hé ! », coupures : 1, 8, 1 et 2 (au lieu de 6 et 6).

Le poète joue donc sur les variations de ton pour séduire.

3. Séduire par la sensualité :

a) Vocabulaire relatif au plaisir :

Référence à la douceur au vers 12 : « douceur », « plaisir », « doux » v.13. Appel à la sensualité. b) Le poète cherche à tenter Marie :

« Douceur des douceurs » ; superlatif qui est donc une hyperbole qui montre l’intensité des sentiments

Au vers 11, le ton est sérieux. L’enjambement et le vers 12 sont des allusions au plaisir. Effet de suspense, le complément de manière est rejeté dans le deuxième tercet. On passe de la privation à la volupté.

Question rhétorique au vers 13 qui implique la destinataire. Question montre qu’il n’y a rien de doux sans Vénus.

Ainsi le poète met il en œuvre différents moyens pour séduire la dame. Mais derrière situation d’énonciation particulière se cache ne fait une réflexion sur une conception plus large de l’amour.

III. Une réflexion générale sur l’amour :

L’essentiel du poème est fondé sur un raisonnement de type inductif : on passe du cas particulier au cas général, pour revenir à la toute fin au cas particulier. Le cas particulier sert de tremplin à la réflexion générale, qui permet de valider le cas particulier par sa valeur universelle.

1. Ce poème lyrique contient de nombreuses marques de l’affectivité du poète :

a) Importance de la première personne :

Le « je » est présent dans les deux quatrains, sous forme passive : « aimez moi ». Présence du « je » à la fin, au vers 14

b) Une pointe de pathétique :

A la fin, avec l’invocation de la mort.

2. Toutefois les procédés de la généralisation permettent le dépassement du cas personnel :

a) Les marques grammaticales de la généralisation :

On passe des pronoms personnels aux pronoms indéfinis : « quelque chose » (v.9), « celui qui » (v.10), « il » (v.13)

On passe du futur au présent de vérité générale : « est il rien de plus doux » (v.13), « celui qui n’aime pas, celui la se propose » (v.10) : tournure proverbiale

b) Les références culturelles permettent aussi au propos de se généraliser :

Références explicites : Scythes (référence antique) : peuple barbare et non civilisés. Vénus au vers 13 : déesse de l’amour dans la mythologie latine

Références implicites : l’épicurisme (Les poètes de la Pléiades sont très influencés par cette philosophie antique qui tient son nom du philosophe grec Epicure. On retient souvent de cette philosophie la célèbre formule « Carpe Diem » (=profite du jour présent). Ici le poète invite Marie à profiter des plaisirs de l’amour et de l’existence. Cette invitation repose donc sur une conception de l’amour énoncée au présent de vérité générale et inspirée de l’épicurisme : amour plaisir et humanité sont indissociables)

Ronsard propose une conception très générale sur l’amour avec des références diverses.

3. Une poésie qui est loin d’être spontanée :

L’anagramme du début est un jeu intellectuel inspiré de l’antiquité.

Ronsard utilise à la perfection la technique du sonnet : chacun des lieux stratégiques du sonnet sont utilisés : la volta et la chute qui procure un effet de suspense.

La poésie repose donc sur une certaine érudition

Ce n’est pas l’épanchement lyrique qui domine, car celui-ci est « dompté » par la maîtrise technique linguistique et culturelle dont fait preuve Ronsard. Ce dernier s’élève à un degré de généralité qui dépasse l’expression des sentiments personnels.

Il s’agit d’un poème très plaisant car il joue sur les mots, sur les tons pour séduire aussi bien que pour convaincre.

On constate toute fois que Ronsard reste très conventionnel ici, aussi bien dans l’utilisation qu’il fait de la forme du sonnet que dans les références qu’il convoque.

Ces deux aspects, tradition et invention, sont à la fois caractéristiques de la poésie de la Pléiades qui attelle au paradoxe de vouloir imiter les glorieux auteurs de l’antiquité.

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