Baudelaire : De Profundis Clamavi .. Extrait de Les Fleurs du Mal

Introduction :

Le sonnet, après avoir été en vogue au XVIème siècle a perdu de sa gloire pour revenir à la mode au XIXème, notamment grâce à Baudelaire.

Baudelaire a d’abord une carrière de critique d’art avant de sa consacrer à la poésie avec les Fleurs de Mal en 1857. Cette œuvre a été en partie censurée, certains poèmes ayant des thèmes jugés immoraux. Même le titre est provoquant : dans le laid (mal) il y a du beau (fleur). Le poète se donne la mission de transformer la boue en or. Son existence est traversée par la souffrance, illustrée par le titre de la première partie des Fleurs du Mal : « Spleen et Idéal ». Le poète est écartelé entre Dieu et Satan, entre le bien et le mal.

Ce poème est le trentième de « Spleen et Idéal ». C’est un sonnet irrégulier : ABBA CDDC EE FF GG. Le titre signifie : « J’ai crié des profondeurs ». Dans ce poème, le poète s’adresse à « Toi », pronom personnel au référent ambigu et fait référence à un lieu atroce.

On verra comment Baudelaire à la fois s’inscrit dans une tradition, celle du poète mélancolique et fait preuve d’originalité par la forme irrégulière du sonnet.

I. Une prière avortée :

1. Un lexique religieux :

Le titre est emprunté à la Bible, aux Psaumes. C’est le titre du psaume 130, psaume d’espérance.

Les premiers vers sont religieux : « J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime » Fait penser à une prière. La majuscule à Toi montre que c’est un pronom sacré. De plus celui-ci est mis en évidence, à l’hémistiche et entouré de virgules. Il bouscule le rythme. On peut se demander à qui correspond ce pronom : à Dieu, au Diable, à sa Muse ou à une femme.

2. Une parole blasphématoire :

Le blasphème est une parole qui outrage Dieu et la religion. La prière retombe dès le vers deux : « Du fond du gouffre obscur »

Le « gouffre » et le « chaos » :

On peut parler de paroles blasphématoires pour deux raisons : « gouffre obscur » connote les enfers et les lieux décrits font penser au chaos, ce qu’il y avait donc avant la création divine.

Un double péché :

Au vers 2 : péché de désespoir car normalement celui qui a la foi garde espoir. Le poète transforme un chant d’espoir, le psaume 130 en un chant de désespoir.

Au vers 12, péché de jalousie : « Je jalouse »

Le poème se termine sur un désir de mort :

Le poète fait allusion au sommeil au vers 13 qui représente implicitement la mort. Il souhaite donc la mort implicitement. Mais le suicide est interdit par la religion comme la volonté de mourir.

Rien ne permet au poète de s’élever. Il est donc dans un état de totale déréliction ‘état de l’Homme abandonné par Dieu)

II. Un tableau du spleen :

Spleen : mot anglais utilisé au XIXème siècle pour désigner une sorte de mal vivre associant à un malaise physique un état d’âme mélancolique. Ce mot signifie donc mélancolie. Ce n’est pas le premier sens du terme. Ce dernier est rate que l’on considérait alors comme le siège de l’humeur noire qui causait la mélancolie chez les sujets où elle était abondante.

Ce poèmes est une description paradoxale qui évoque le vide est l’absence.

1. Caractéristiques d’un lieu dysphorique :

· Un lieu sombre : « gouffre obscur » (v.2), « horizon plombé » (v.3), « nuit » (v.4 et 6), « immense nuit » (v.11)
· Un lieu froid : « soleil sans chaleur » (v.5) ; « terre polaire » (v.7) ; « soleil de glace » (v.10) (oxymore). On observe une gradation dans les termes.
· Un lieu vide : « gouffre » (v.2) ; « morne » (v.3) ; « nu » (v.7), « ni » répété quatre fois au vers 8 ; « chaos » (v.11). Là encore, une gradation dans les termes.
· Un lieu atroce : Références à l’horreur : « horreur » ; « blasphème » (v.4) ; « horreur » (v.9) ; « cruauté » (v.10).

Ici, on a affaire au contraire du « locus amoenus » (topos du lieu paradisiaque)

2. Un Sonnet fondé sur le rien, sur le vide :

Usage de la négation :

Baudelaire fait un usage particulier de la négation. Au vers 8 la négation « ni » est répétée quatre fois. Insistance sur le manque.

La description est peu classique, paradoxale : d’habitude les descriptions s’ajoutent les unes aux autres alors qu’ici tout se gomme peu à peu.

L’appauvrissement des sonorités... :

Dans les quatrains, les sonorités se répètent et se diffusent dans le poème : « unique » (v.1) à « univers » (v.3) à « nuit » (v.4) à « nuit » (v.6) à « nu » (v.7) à « ni » (v.8). Diffusion mais appauvrissement.

Pas de renouvellement de mots mais des répétitions : « soleil » v.5 et 6 ; « horreur » v.4 et 9 ; « nuit » v.4, 6 et 11 ; « terre » v.6 et 7. C’est volontaire, le poème n’obéit pas à une progression mais est fondé sur la répétition. Au moment de la volta : « Or » qui est un lien logique. On peut donc penser qu’il y aura un changement mais ce n’est pas le cas, or ne se charge d’aucune valeur argumentative : il n’offre aucune autre conception du monde.

Seuls variations de ce poème, les superlatifs qui mettent en place un gradation : « plus » (v.7) à « pas d’horreur au monde qui surpasse » (v.9) à « plus vils » (v.12)

...qui se prolonge par un travail sur les rimes :

Au début du poème les rimes sont riches : « plombé / tombé ». Puis on observe un appauvrissement des rimes. De plus en plus, le sonnet s’écarte des règles habituelles : des rimes plates dans les tercets qui expriment les platitude de la vie et l’ennui d’un monde voué à la répétition. Ce poème a donc une forme sens, la forme est chargée de sens.

3. Le poète mélancolique, né sous le signe de Saturne :

La planète Saturne : le temps qui se dilate :

Le temps est très particulier dans ce poème car il n’est plus dynamique : pas d’alternance nuit/jour et plus de saison. Un jour dure six mois, une nuit six mois. On est tout le temps en hiver, le temps est statique. Le paysage décrit correspond à celui de Saturne, planète vue comme étant la plus lente du système solaire, elle est froide, sèche et maussade. Par conséquent, dès le XVIème siècle se développe l’idée selon laquelle les poètes, créateurs tourmentés sont nés sous le signe de Saturne, planète de la mélancolie.

Baudelaire récupère ici cette tradition. Verlaine l’a fait également en écrivant les Poèmes Saturnins.

Analyse de la métaphore du dernier vers :

« Tant l’écheveau du temps lentement se dévide » : c’est la chute du poème, une place stratégique. Cette chute est mélancolique. Souffrance due à l’ennui et à la lenteur du temps qui s’écoule.

« L’écheveau du temps » est une métaphore qui fait allusion à la mythologie, aux trois Parques, les trois sœurs gardiennes du temps et de la mort. Elles s’occupaient de dérouler le fil de la vie : une tenait l’écheveau, une tirait le fil et une dernière le coupait, ce qui symbolise la mort.

Le poème se termine sur « dévidé » et ce n’est pas un hasard. Ce mot file la métaphore mais ce n’est pas tout. C’est également un mot circulaire, symétrique : DE - vi- DE, ce mot se termine par « vide », comme l’est le reste du poème. Cette circularité peut représenter l’écheveau ou l’enfermement du poète dans le vide, que contient ce mot.

La métaphore est en fait filée dès le premier tercet avec l’enjambement des vers 9 et 10. La métaphore est renforcée par le son « ce » à la fin du vers qui le prolonge encore. Le vers se prolonge et s’étire comme l’écheveau du temps.

CONCLUSION

Le paysage décrit rappelle la planète Saturne, ce qui fait référence à la tradition littéraire qui date du XVIème : le thème de la mélancolie. Très présente dans l’œuvre de Baudelaire, la planète fait songer aux trois poèmes intitulés « Spleen »

L’exploitation de la forme du sonnet est particulièrement remarquable ici et ce de trois points de vue : le travail sur les sonorités (leur appauvrissement) ; le travail sur la versification, sur les rimes et les enjambements ; le travail sur la structure du sonnet avec un faux retournement au niveau de la volta et une chute très réussie.

Baudelaire réussit ici l’exploit poétique de faire un poème sur le vide et l’ennui.

 

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