Commentaire composé : Le biographique

Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand.
L’Hirondelle (4e partie, livre 5, chapitre 7, p.297-298)
De « A Bischofsheim où j’ai dîné… » jusqu’à « …et j’ai vécu de peu. »

Nous sommes en juin 1933, il revient de Prague (Autriche) où il a confié une mission à Charles X et rentre à Paris. C'est une situation anodine : il est contraint de déjeuner dans une auberge allemande lorsqu'une hirondelle vient se poser à la fenêtre. Un dialogue imaginaire s'installe entre elle et lui. Le texte se caractérise par une tonalité lyrique et grave.

I Légèreté et humour.
Chateaubriand construit quelque chose à partir d'une banalité. Chateaubriand porte sur l’hirondelle un regard bienveillant : Il l’embelli : cette hirondelle par l'expression de sa séduction devient une "jolie curieuse". Il la personnifie et devient la partenaire d'un dialogue imaginaire. C'est aussi l'occasion d'un jeu avec la référence mythologique : (L'hirondelle fille de Pandion, pour se venger de la trahison de son maris, Terrée, a assassiné son fils, Isis, et lui a donné à manger les restes. Les Dieux l'ont métamorphosé en hirondelle.)
Marque de dérision sur un ton ironique : " a mon grand couvert". C'est un mot sorti tout droit du vocabulaire de l'étiquette royale. Ce qui contraste avec la réalité fort modeste de ce monde réel.
II Nostalgie :
Ici l’hirondelle aide à revenir sur les pas de Chateaubriand et leur donner un sens. Elle résume toute la vie de Chateaubriand : la "sylphide", "les Affaires étrangères", "le rocher natal".
L'hirondelle est un oiseau migrateur, libre. Comme Chateaubriand, perpétuel errant, elle voyage beaucoup et en solitaire. Allusion à beaucoup de nom de lieu : "Rhodes", "Athènes", "Rosette"…
Elle suggère dans un ordre chronologique les différents voyages de Chateaubriand : Son « rocher natal », son voyage de tourisme en Amérique à 18 ans, son voyage en Angleterre dans une famille de pasteur dont la fille, Charlotte, est tombée amoureuse, son voyage à Jaffa en Israël, son "cabinet aux Affaires étrangères" à Paris, ainsi qu'à "Tripoli dans la campagne de Rome", une de ses ambassades et ses voyages sentimentaux avec la Sylphide.
L'oiseau est le symbole archétypique de la liberté, « comme toi j’ai aimé la liberté ». Il y a une nostalgie de sa jeunesse, du temps où il voyageait jeune et libre comme l'hirondelle. A travers la chanson l'hirondelle ramène les belles années et lui rappelle sa jeunesse.
L'hirondelle a une signification métaphorique. On constate qu'elle est appelée sa "convive" et qu'elle a été ce jour là, la seule invitée à cette table. Toujours au féminin l'hirondelle devient ici la métaphore de tous les visages féminins qu'il a rencontré durant ses voyages qui sont autant de tentations auxquelles autrefois il aurait cédé. Evocation d'une nostalgie mêlée de mélancolie. Maintenant il regarde, il s'émeut et s'en va. "Veux tu que nous nous envolions ensemble ?", "Hélas ! "Mes plumes ne reviendrons plus".

Ce qui est intéressant c'est que l'hirondelle sert à unifier et rassembler l’événement de toute une vie. L'hirondelle est ici utile à Chateaubriand dans ce que l'on pourrait appeler sa quête d'identité et de vérité. Elle lui permet de "renouer les 2 bouts de son existence".

II La fin de sa vie :

Il y a une opposition entre l'hirondelle et lui-même : Elle est jeune. Multiplicité à son sujet des verbes de mouvement : "tu pars", "ton vol", "tu traverseras la mer d'Ionie !" Il utilise le futur " tu rencontrera". Il a beaucoup voyagé par nécessité ou par goût. Il exprime ici qu'il est le jouet du temps et de l'espace. Il y a un champ lexical de la négation, et du recroquevillement. "je suis un pauvre oiseau muet", "impossible", "ne sont plus". C'est plus nette encore au niveau du temps tantôt au passé "j'ai aimé", "j'ai vécu", tantôt au présent : " je suis". Chateaubriand explique qu'il est vieux. Il se compare à « un pauvre oiseau mué », « mes plumes ne reviendrions plus ». Le chagrin et les années lui pèsent au point qu’ils sont trop lourds pour être porté. C’est dans ce sens une métaphore de la vieillesse. De plus le « printemps » qui symbolise le renouveau et la vie avec le retour du soleil ainsi que « les beau climats » ne sont plus sa saison. La joie n’existe plus en lui. Reste l’hiver triste et morne. Chateaubriand a connu, trisaïeule, grand-mère et mère de cette hirondelle. Ainsi il insiste sur sa propre vieillesse. Il sait qu’il n’y retournera pas et n’est pas sûr d’être encore en vie le printemps suivant : « Salue pour moi … », « Si je ne suis plus quand les fleurs te ramèneront ». La fin du texte est pour lui la forme lucide de l'avenir: la mort : « je t'invite à mon banquet funèbre », « ma tombe ». Le mot « banquet » est la pour montrer qu’il ne sera plus seul comme maintenant.


III Le travail d’écriture :

Chateaubriand est un grand écrivain et cette page éclatante par son écriture en témoigne une fois de plus.
Ce texte est caractérisé par la diversité de ses tonalités :
Il y a tout d'abord un ton amusé, enjoué, lyrique et finalement grave. Registre élégiaque dans les dernières lignes du discours fictif entre l’hirondelle et lui. La ponctuation est expressive : Il y a une alternance de l'interrogation et de l'exclamation. Le jeu des sonorités : Le texte se caractérise par la récurrence de la consonne « r » surtout dans la première phrase. Ce qui contribue à donner une musicalité et une tonalité lyrique. Jeu d’assonance avec au début une dominante en « i » : « a BIschosheim où j’ai dîné, une jolIe curIeuse… ». Confrontation de 2 sons « an » : « le plus doucemENt du monde, EN me regardANt d’un air de connaissANce et sANs …. », et en « on » dans un rythme régulier et plus distant en « a ». « vOIle, crOIsé, tOI .. A jAffA Avec tOI ; tu l’AS... »
On y trouve aussi de la prose poétique : L’extrait se termine par un vers blanc à la fin : « comme toi j’ai aimé la liberté, et j’ai vécu de peu ».