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Époque : Non définie
[La scène se passe dans une Pologne imaginaire. Poussé par l'ambition de sa femme, le Père Ubu fomente une conspiration contre le roi Venceslas. Parvenu à ses fins, et une fois couronné, Ubu fait régner la terreur.]
ACTE III, SCÈNE III
Une maison de paysans dans les environs de Varsovie.
Plusieurs paysans sont assemblés.
UN PAYSAN, entrant : - Apprenez la grande nouvelle. Le roi est mort, les ducs
aussi et le jeune Bougrelas s'est sauvé avec sa mère dans les
montagnes. De plus, le Père Ubu s'est emparé du trône.
UN AUTRE : - J'en sais bien d'autres. Je viens de Cracovie1, où j'ai
vu emporter les corps de plus de trois cents nobles et de cinq cents magistrats
qu'on a tués, et il parait qu'on va doubler les impôts et que le
Père Ubu viendra les ramasser lui-même.
TOUS : - Grand Dieu ! qu'allons-nous devenir ? le Père Ubu est un affreux
sagouin et sa famille est, dit-on, abominable.
UN PAYSAN : - Mais, écoutez : ne dirait-on pas qu'on frappe à
la porte ?
UNE VOIX, au-dehors : - Comegidouille2 ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint
Jean, saint Pierre et saint Nicolas ! ouvrez, sabre à finances, corne
finances, je viens chercher les impôts !
La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d'une légion
de Grippe-Sous.
SCÈNE IV
PERE UBU : - Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance.) Comment
te nommes-tu ?
LE PAYSAN : - Stanislas Leczinski.3
PERE UBU : - Eh bien, comegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs
te couperont les oneilles4. Mais, vas-tu m'écouter enfin ?
STANISLAS : - Mais Votre Excellence n'a encore rien dit.
PERE UBU : - Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici
pour prêcher dans le désert ?
STANISLAS : - Loin de moi cette pensée.
PERE UBU : - Je viens donc de te dire, t'ordonner et te signifier que tu aies
à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré.
Allons, messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici le voiturin à
phynances5. (On apporte le voiturin.)
STANISLAS : - Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deux
rixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt
six semaines à la Saint-Mathieu.
PERE UBU : - C'est fort possible, mais j'ai changé le gouvernement et
j'ai fait mettre dans le journal qu'on paierait deux fois tous les impôts
et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement.
Avec ce système, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde
et je m'en irai.
PAYSANS : - Monsieur Ubu, de grâce, ayez pitié de nous. Nous sommes
de pauvres citoyens.
PERE UBU : - Je m'en fiche. Payez.
PAYSANS : - Nous ne pouvons, nous avons payé.
PERE UBU : - Payez ! ou ji6 vous mets dans ma poche avec supplice et décollation
du cou et de la tête ! Cornegidouille, je suis le roi peut-être
!
TOUS : - Ah, c'est ainsi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grâce de
Dieu, roi de Pologne et de Lithuanie !
PERE UBU : - En avant, messieurs des Finances, faites votre devoir.
(Une lutte s'engage, la maison est détruite et le vieux Stanislas s'enfuit
seul à travers la plaine. Ubu reste à ramasser la finance.)
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