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Commentaire composé : Camus : Caligula : Acte II scène 5
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Commentaire composé : Camus : Caligula : Acte II scène 5

Extrait étudié :

Albert CAMUS, Caligula, acte II, scène 5, 1944.

Depuis la mort de sa sœur Drusilla, Caligula, jeune empereur romain, prend conscience de l'absurdité du monde. II décide d'exercer un pouvoir absolu, tyrannique et cruel sur son royaume.

ACTE II SCÈNE 5

Il mange, les autres aussi. Il devient évident que Caligula se tient mal à table. Rien ne le force à jeter ses noyaux d'olives dans l'assiette de ses voisins immédiats, à cracher ses déchets de viande sur le plat, comme à se curer les dents avec les ongles et à se gratter la tête frénétiquement. C'est pourtant autant d'exploits que, pendant le repas, il exécutera avec simplicité. Mais il s'arrête brusquement de manger et fixe avec insistance Lepidus l'un des convives.
Brutalement.

CALIGULA. — Tu as l'air de mauvaise humeur. Serait-ce parce que j'ai fait mourir ton fils ?
LEPIDUS, la gorge serrée. — Mais non, Caïus, au contraire.
CALIGULA, épanoui. — Au contraire ! Ah ! que j'aime que le visage démente les soucis du cœur. Ton visage est triste. Mais ton cœur ? Au contraire n'est-ce pas, Lepidus ?
LEPIDUS, résolument. Au contraire, César.
CALIGULA, de plus en plus heureux. — Ah ! Lepidus, personne ne m'est plus cher que toi. Rions ensemble, veux-tu ? Et dis-moi quelque bonne histoire.
LEPIDUS, qui a présumé de ses forces. — Caïus !
CALIGULA. — Bon, bon. Je raconterai, alors. Mais tu riras, n'est-ce pas, Lepidus ? (L'œil mauvais.) Ne serait-ce que pour ton second fils. (De nouveau rieur.) D'ailleurs tu n'es pas de mauvaise humeur. (II boit, puis dictant.) Au..., au... Allons, Lepidus.
LEPIDUS, avec lassitude. — Au contraire, Caïus.
CALIGULA. — A la bonne heure! (Il boit.) Écoute, maintenant. (Rêveur.) Il était une fois un pauvre empereur que personne n'aimait. Lui, qui aimait Lepidus, fit tuer son plus jeune fils pour s'enlever cet amour du cœur. (Changeant de ton.) Naturellement, ce n'est pas vrai. Drôle, n'est-ce pas ? Tu ne ris pas. Personne ne rit ? Ecoutez alors. (Avec une violente colère.) Je veux que tout le monde rie. Toi, Lepidus, et tous les autres. Levez-vous, riez. (Il frappe sur la table.) Je veux, vous entendez, je veux vous voir rire.
Tout le monde se lève. Pendant toute cette scène, les acteurs, sauf Caligula et Caesonia, pourront jouer comme des marionnettes.
Se renversant sur son lit, épanoui, pris d'un rire irrésistible.
Non, mais regarde-les, Caesonia. Rien ne va plus. Honnêteté, respectabilité, qu'en dira-t-on, sagesse des nations, rien ne veut plus rien dire. Tout disparaît devant la peur. La peur, hein, Caesonia, ce beau sentiment, sans alliage, pur et désintéressé, un des rares qui tire sa noblesse du ventre. (Il passe la main sur son front et boit. Sur un ton amical.) Parlons d'autre chose, maintenant. Voyons. Cherea, tu es bien silencieux.
CHEREA. — Je suis prêt à parler, Caïus. Dès que tu le permettras.
CALIGULA. — Parfait. Alors tais-toi. J'aimerais bien entendre notre ami Mucius.
MUCIUS, à contrecœur. — A tes ordres, Caïus.

Commentaire :


Pièce en quatre actes et en prose d’Albert Camus (1913-1960), Caligula fut publiée à Paris chez Gallimard en 1944, et créée à Paris au théâtre Hébertot le 26 septembre 1945. Camus avait tracé dès janvier 1937, dans ses Carnets, le plan d’une pièce qu’il envisageait d’intituler Caligula ou le Sens de la mort. L’argument s’inspire de l’Histoire des douze Césars de Suétone, mais aussi des préoccupations personnelles de l’écrivain (aggravation de son état de santé, difficulté de concilier le bonheur et le tragique dans l’homme). Camus retouchera sa pièce en vue d’une nouvelle publication en 1947, puis la modifiera encore à l’occasion de représentations, notamment celle du festival d’Angers (1957), dont le texte sera publié en 1958.
Depuis la mort de Drusilla, sa sœur et maîtresse, Caligula inquiète son entourage et scandalise les patriciens de Rome. «Il veut notre mort à tous», dit l’un d’eux. Une seule douceur lui permet de continuer à vivre: «le mépris». Dans la scène 5 de l’acte II, Caligula attablée avec des convives, exerce sa tyrannie sur Lepidus, qu’il malmène à son bon plaisir. Il conviendra de voir de quelle façon s’exerce la tyrannie de cet empereur fourvoyé, et le sens que cela peut porter au XX°s.
Nous verrons dans une première partie l’exercice de la tyrannie de Caligula ; puis, dans une seconde partie, l’hésitation du spectateur entre le rire et les larmes ; enfin, dans une troisième partie, le genre du théâtre de l’absurde.

I La tyrannie de Caligula
A/ L’empereur de Rome
personnage historique : voir la genèse de cette œuvre, et les sources d’inspiration du dramaturge pour l’écriture de sa pièce. Pour un aperçu historiographique du personnage réel de Caligula, voir par exemple http://fr.wikipedia.org/wiki/Caligula
maîtrise de la parole théâtrale : on étudiera chaque réplique du personnage de Caligula, en montrant en quoi celui-ci maîtrise la parole. En masse de discours, Caligula arrive loin devant, les longues répliques lui appartenant, les autres personnages tournant à tour de rôle, sans avoir réellement de répliques propres
il pose les questions : Caligula a un rôle d’inquisiteur ; il pose les questions, maîtrise mais également dirige le discours, s’insinuant dans la vie privée de chaque convive. Son omnipotence lui permet d’instiller son despotisme dans chaque recoin de la scène, et à l’intérieur de chaque personnage
B/ Droit de vie et de mort
l’évocation de la mort du fils de Lepidus : montrer l’horreur de ce rappel initial, ouvrant le texte, avec le ton presque badin de l’empereur. L’horreur naît également de ce que Lepidus, père, doit paraître agréer la décision de Caligula, et rire de la mort odieuse de son fils
les menaces réitérées sur le second fils de Lepidus : voir toutes les menaces que Caligula fait peser sur Lepidus, et sur les autres convives en général. De façon plus large, il n’a même pas besoin de menacer, tant sa parole fait peur : chaque convive comprend qu’il ne peut que se ranger aux injonctions du tyran
il tourne en ridicule tous les convives attablés à sa table : chaque personnage doit abdiquer son honneur, sa fierté, et même son humanité : tous doivent rire aux atrocités de Caligula sous peine d’en payer les frais. Les personnages perdent dès lors toute profondeur psychologique, leurs agissements et leurs paroles étant « dictés » par Caligula (le terme apparaît dans le texte) : les personnages de cette pièce ne sont que des pages blanches sur lesquelles le despote romain écrit l’histoire sanglante de ces fantasmes sanguinaires
C/ Un personnage de l’extrême
sa vulgarité et sa grossièreté : voir le chapeau du texte, le caractère grossier et vulgaire qu’il adopte dans son repas, mais également dans ses répliques. Il n’a pas du tout la prestance que l’on pourrait attendre d’un empereur romain. Il s’empiffre, et se renverse sur son lit de rire : il n’a aucune dignité lié à sa condition, ceci insistant sur le caractère absurde de ces volontés : sans majesté, il perd le respect de ses proches
des caprices d’enfant : « je veux ». Caligula apparaît ainsi comme un enfant, dont les caprices et les quatre volontés gouverneraient le monde. Compter les « je veux » du texte, syntagme verbal étudié par Freud comme injonction totale d’un fantasme de maîtrise absolue : le « je veux » de Caligula a valeur d’accompli, tant il semble certain et évident qu’il aura ce qu’il voudra
rire et pleurer : les rires et les larmes cohabitent dans cet extrait de façon extrêmement dynamique. Voir le bonheur de Caligula qui s’intensifie à mesure que Lepidus s’enfonce dans les tréfonds de son désespoir ; Caligula se nourrit de la mort des autres, tel un vampire. Le spectateur, devant un tel spectacle, ne sait pas vraiment quelle attitude adopter.

II Rire ou pleurer ?
A/ L’atrocité du supplice infligé à Lepidus
l’humiliation : l’humiliation des personnages est une image de l’humiliation infligée au spectateur ; ce dernier se semble également tyrannisé, tant l’omnipotence du despotisme de l’empereur semble ne pas avoir pour limite la scène, mais déborder également dans la salle. L’on comprend aisément le supplice que cela doit être pour Lepidus de rire de la mort de son premier fils pour tenter vainement de sauver le seconde ; quelle attitude adopter, lorsqu’on sait que rien ne peut influence le tyran ?
une dépossession de sa parole : Lepidus n’a même plus le droit à la parole, il ne peut décider de rire ou de pleurer, ses émotions sont exigées et contrôlées par l’empereur, qui les manie à sa guise
une marionnette dans les mains de Caligula : il perd ainsi toute humanité et toute existence. Son supplice est peut-être encore pire que la mort, et sûrement préférerait-il mourir. Il abdique son caractère humain pour devenir un jouet, soumis aux caprices de l’enfant Caligula

B/ Le caractère bouffon de la scène
les volontés farfelues de l’empereur : voir le caractère grotesque de Caligula, qui s’apparente à ces personnages de la Comédie italienne, capables de passer instantanément du rire aux larmes. Cette outrance dans le caractère de Caligula peut porter à sourire, tant ce personnage fait signe vers l’extrême et le burlesque
la gestuelle exacerbée : noter toutes les indications de gestuelle de Caligula, ce dernier perdant toute dignité normalement rattachée à son rang. Il s’agite dans tous les sens, tel un enfant, gesticule pour se faire comprendre et exprimer ses émotions. Il apparaît de façon franchement ridicule dans cet extrait, très loin de la tyrannie majestueuse de Néron dans Britannicus de Racine
un épigone d’Ubu Roi ? Peut-être faut-il voir dans cette ambivalence du personnage de Caligula, une trace de la pièce explosive d’Alfred Jarry, parue à la toute fin du XIX°s. Pareillement, le Père Ubu, soumet la Pologne à ses volontés fantaisistes et farfelues, semant la mort et le désespoir sur son passage. En réinscrivant cette absurdité de la tyrannie dans une perspective historique, Camus approfondit la réflexion du jeune dramaturge en l’amenant du côté d’une philosophie de l’histoire

C/ Entre tragique et comique
la fatalité pesant sur les épaules de Lepidus : cette tyrannie absurde qui échoie sur le sort de Lepidus, peut s’apparenter à la fatalité tragique tombant sur les personnages de la tragédie grecque et classique. Comme l’Œdipe de Sophocle ou la Bérénice de Racine, Lepidus semble souffrir les volontés d’un « fatum » omnipotent que rien ne peut arrêter ; la filiation tragique semble évidente
le caractère absurde des volontés de l’empereur : mais ce « fatum » n’a rien de tragique, en ce qu’il ne débouche sur une réflexion sur la nature humaine et la liberté de l’homme. L’absurde de ce tragique le rend comique, et la vulgarité du personnage de Caligula, ainsi que ses caprices puérils, font également pencher l’extrait du côté de la comédie
une fable sur la tyrannie : cet extrait est donc l’exemple d’un acte tyrannique pétri d’absurdité de l’empereur Caligula sur un personnage en fin de compte quelconque ; ce qui l’intéresse n’est pas la souffrance de Lepidus, mais de maîtriser la souffrance, le désespoir et la mort d’une personne extérieure. Caligula est une image de la tyrannie, comme modèle d’un système politique, portée à l’extrême. En cela, cette pièce s’inscrit dans une perspective historique.

III Le théâtre de l’absurde
A/ La fable politique
un pouvoir dévastateur : le modèle de l’empire comme image du despotisme absolu. L’empire, tel qu’il a été ébauché à Rome dans sa conception politique, est l’image d’un système politique reposant entièrement sur une seule personne ; l’histoire romaine a effectivement connu des empereurs résolument tyranniques. Ce pouvoir regroupé dans les mains d’une seule personne, peut être grandiose si l’empereur a grand cœur, ou terrible, quand celui-ci, comme Caligula, n’est intéressé que par sa propre personne. Camus pointe du doigt la dangerosité d’un tel système politique.
le règne de la peur : la peur semble ainsi gouverner tout l’empire de Caligula ; tous les convives y sont soumis. Une remarque de l’empereur va en ce sens : « Honnêteté, respectabilité, qu'en dira-t-on, sagesse des nations, rien ne veut plus rien dire. Tout disparaît devant la peur. La peur, hein, Caesonia, ce beau sentiment, sans alliage, pur et désintéressé, un des rares qui tire sa noblesse du ventre. ». C’est par la peur qu’il se fait respecter, et la peur semble être le modèle de cohésion nationale que Caligula plébiscite
une évocation des dictatures modernes ? On peut peut-être dès lors voir là une réflexion sur les dictatures qui ont émaillé le XX°s (notamment Hitler et Mussolini, celles de Franco et Staline étant encore à l’état d’ébauche à l’époque de rédaction de ce texte).
B/ La théâtralité au service d’une philosophie de l’absurde
le caractère mécanique des répliques et des gestes de l’empereur : rire et pleurer fait tout un pour l’empereur, qui passe de la grande colère à la rêverie, sans motivation apparente ; il semble animé de sentiments et de pulsions contradictoires, qui dessinent le portrait d’un personnage troublé
une grande présence du texte didascalique comme image de l’importance du dramaturge dans le texte. Une faible place est laissée au metteur en scène et aux acteurs dans l’interprétation du texte. Camus, philosophe avant tout, et homme engagé dans son époque, cerne et oriente la direction de sa pièce vers une interprétation préparée ; cela explique sûrement en partie le faible succès de la pièce lors de ses premières représentations
la tyrannie comme mort du théâtre : on étudiera ici toutes les prises de paroles de Caligula, et en quoi il réduit au silence ses interlocuteurs, ou, s’il ne les fait pas taire, comment il les fait parler. Cette mainmise sur la parole théâtrale signe l’arrêt de mort du théâtre, qui ne peut être et exister qu’à travers la confrontation de plusieurs paroles. Annihilant les autres personnages, Caligula s’annihile lui-même.

C/ L’interrogation philosophique
le brassage des possibles : à travers les larmes et le rire, la colère et l’amabilité feinte, le droit de mort et le droit de vie, un discours incohérent et un silence forcé, Caligula s’institue en Dieu vivant en maîtrisant tous les possibles. Empereur au pouvoir absolu, il est en quête d’un pouvoir divin ; il admettra d’ailleurs à la fin de la pièce n’avoir pas pu décrocher la lune
un personnage fou : cf. le Néron de Racine dans Britannicus, qui veut également à travers l’assassinat de ses proches, s’assurer une existence éternelle. Cette angoisse essentielle de la mort, qui est inhérente à cette démarche, est celle de tout homme. Albert Camus nous dit qu’un Caligula sommeille en chacun de nous, dès lors que nous sommes confrontés à une mort éventuelle
un personnage absurde entre le Lorenzaccio de Musset et le Hamlet de Shakespeare : sa quête désespérée de réponses le conduit à une existence absurde ; Caligula, homme de pouvoir, ne peut admettre qu’il ne peut contrôler la mort. C’est ainsi qu’il s’accorde un pouvoir absolu sur la vie de ses citoyens, moyen illusoire de contrôler sa propre mort.

Cette tyrannie de Caligula sur Lepidus doit donc être lue comme une déficience fondamentale intrinsèque à la personne de l’empereur. Celui-ci désespère d’obtenir un contrôle absolu sur sa propre personne, et, à défaut, l’exerce sur ses proches et ses citoyens. Cette démarche met en péril le théâtre même, Caligula ne laissant ni place ni existence à la présence des autres personnages. Comme il règne en despote absolu sur Rome, Caligula règne en despote absolu sur la scène. Autant que la difficulté de traduire de manière scéniquement cohérente les nuances d’une interrogation philosophique, la faible consistance des personnages qui entourent le héros explique le relatif insuccès de la pièce.


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